Afrique : Quel rôle pour le Maroc sur le continent depuis 1999 ?

 Afrique : Quel rôle pour le Maroc sur le continent depuis 1999 ?

Le Maroc a renforcé ses liens avec l’Afrique depuis deux décennies. Quel est son rôle ? Est il purement diplomatique, sécuritaire ou économique ? Pour mieux saisir les tendances de ce mouvement du royaume vers son continent, Amine Harastani-Madani vient d’écrire un rapport « 1999-2020, le Maroc en Afrique » pour le Think tank Policy Center for the New South. L’ingénieur qui travaille dans la chimie revient sur ce qui fait la force du positionnement marocain en Afrique.

 

Le Courrier de l’Atlas : Sur le plan diplomatique, vous distinguez 3 périodes (1961-1984, 1999-2015, 2016-…). Quels sens doit on donner à ces périodes ?

Amine Harastani-Madani : Tout à fait. Ces trois périodes marquent des moments majeurs de la politique étrangère du Royaume envers son continent d’appartenance. Tout d’abord, le Maroc inspire la genèse même de l’organisation continentale africaine. En Janvier 1961, Feu SM Le Roi Mohammed V héberge le Groupe de Casablanca qui établit la charge politique de la future OUA. On peut la qualifier de « construction africaine » et de matérialisation de cette ambition de solutions africaines pour les problèmes africains. En 1984, la séparation en 1984 se définit comme un signe de protestation contre le non-respect de la légalité internationale. Mais il ne faut se méprendre. Cette séparation ne signifiait pas l’arrêt des relations bilatérales. Un souffle nouveau s’installe avec la mise en place d’une stratégie diplomatique axée sur la coopération économique bilatérale. C’est ce qu’on pourrait appeler « l’instant diplomatique bilatéral ». Le Royaume se base sur de la diplomatie économique, la crédibilité et la performance avec la signature de près de 1000 accords de coopération et un engagement fort via des investissements dans une majorité de secteurs en Afrique. Le Maroc devient ainsi le premier investisseur en Afrique de l’Ouest et le second sur le plan continental. Depuis 2017, une nouvelle page s’est ouverte, celle de la récolte des résultats des efforts passés et celle de l’intégration de l’Union Africaine. Elle se définit par des changements structurels apportés à la diplomatie marocaine. Réforme de modernisation des moyens, d’utilisation des technologies nouvelles, de rapprochement avec les citoyens. La diplomatie marocaine fait une belle place à  la nomination d’ambassadeurs jeunes. Elle se tourne plus vers l’Afrique et accorde une place importante pour les femmes. Cette page serait celle de la « concrétisation des objectifs de politique étrangère », de la participation dans les efforts de l’intégration économique et de la continuité de la voie de la solidarité.

Une partie de votre rapport concerne la sécurité. L’Afrique pour beaucoup, c’est un continent déchiré par les conflits. Est ce dû au terrorisme ?

Amine Harastani-Madani : Cinq groupes majeurs sévissent en Afrique aujourd’hui: AQMI au Sahel, Ansar Dine et le MUJAO au nord du Mali, Boko Haram au Nigeria, Ansar Al Charia dans le sud de la Tunisie et Al Shabab dans la corne de l’Afrique. La marginalisation économique est un élément important qui alimente la thèse islamiste. L’absence d’Etat de droit, le sentiment d’humiliation et la soif de revanche que peuvent avoir les populations par rapport aux forces de l’ordre peuvent avoir des conséquences dramatiques. La présence de ces éléments, couplés à un élément ethnique, racial ou religieux, représentent le mélange parfait qu’utilisent la plupart des groupes islamistes en Afrique.

Quels autres dangers connait le continent ?

Amine Harastani-Madani : Un autre phénomène menaçant les populations, l’économie et la stabilité des Etats a refait surface en Afrique en deux points distincts. La piraterie dans le Golfe de Guinée et la Corne de l’Afrique. Les attaques se sont multipliées pour des raisons qui ressemblent à celles permettant la propagation du terrorisme. Les faibles capacités des services de sécurité des Etats touchés et les conditions politiques et socio-économiques, avec un chômage de masse chez les jeunes, sont les catalyseurs de la piraterie dans la région. N’oublions pas aussi le trafic de drogues activé par le crime organisé. Ses connexions avec les autres types de criminalité sont avérées et grandissantes. Au cœur du trafic de migrants en Afrique se trouve aujourd’hui la Libye post-Kadhafi, permettant la prolifération de groupes islamistes mais aussi de réseaux de trafiquants de migrants s’étalant partout en Afrique. Les mêmes réseaux se livrant au terrorisme et aux trafics de drogues et d’armes sont ceux qui s’activent dans le trafic de personnes avec des conséquences dramatiques sur les populations. En Afrique, la forme la plus répandue d’exploitation est le travail forcé, principalement dans l’agriculture, représentant 53% des victimes détectées, puis 29% pour l’exploitation sexuelle.

Comment le Royaume est il proactif sur ces questions ?

Amine Harastani-Madani : Sur ces points, les efforts du Maroc pour sa propre sécurité sont souvent loués par de nombreuses organisations internationales, avec une stratégie basée sur l’entraide citoyenne et la responsabilisation de chacun. Elle repose sur le triptyque de communication, proximité et efficacité. La mise en place du Bureau central des Investigations judiciaires (BCIJ), né de la coopération entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur, a pour but de consolider les forces et les points de vue pour une meilleure réponse à la menace. Aussi, le Royaume coopère à l’international sur le sujet avec l’AFRICOM, par exemple, la coalition internationale en Syrie, en Irak et au Yémen, mais aussi au sein de l’OTAN. En Europe, sa coopération avec l’Espagne n’est plus à décrire, ou encore avec la France, comme ce fut le cas, parmi tant d’autres, lors de l’arrestation du Abdelhamid Abaaoud, considéré comme le cerveau des attentats de Paris de novembre 2015.

Le Maroc fait il partie de ce que vous appeler les « puissances de sécurité en Afrique » ?

Amine Harastani-Madani : Dans sa définition réaliste, la puissance se caractérise par la géographie, les ressources naturelles, les capacités industrielles, la préparation militaire, la démographie, le caractère national, le moral de la nation, la qualité de la diplomatie et la qualité du gouvernement. Il convient d’y ajouter le concept de soft power introduit dans la définition libérale de la puissance. Aujourd’hui, plusieurs puissances de sécurité régionales existent et ambitionnent de devenir des puissances continentales. Dans le rapport, on traite du Nigéria par exemple, de l’Afrique du Sud ou encore de puissances montantes comme l’Ethiopie. En l’occurrence, le Maroc a un rôle à jouer et est conscient de la responsabilité qui est la sienne. Elle s’inscrit dans la coopération, la solidarité, l’investissement, la construction d’un projet commun. Le retour à l’Union Africaine en est une étape majeure.

D’un point de vue économique et du développement, le Maroc est une puissance économique régionale fort de ses investissements. Est-ce des paris sur l’avenir ou une stratégie de rentabilité rapide ?

Amine Harastani-Madani : Loin de là. l’Afrique est fatiguée de projets, accentuant son désavantage. La stratégie marocaine innovante et complémentaire se base sur le partenariat « gagnant-gagnant ». Le Royaume partage son savoir-faire et son expérience, ses ressources stratégiques et sa vision de développement pour l’Afrique. Les pays africains peuvent ainsi disposer de cadres œuvrant pour la bonne gouvernance, aussi bien dans le secteur public que privé. Aussi, le Royaume finance de nombreux projets à caractère social, dans l’éducation, la santé, les activités agricoles et la gestion de l’eau. On dépasse le cadre stricto sensu de l’économique pure. De plus, Résumer l’engagement du Maroc au seul volet économique serait incomplet.

Si le Maroc ne pense pas qu’économie, sur quoi s’active t’il ?

Amine Harastani-Madani : On parle ici de liens privilégiés avec certains pays africains, de liens civilisationnels, cultuels et politiques. Prenons le plan religieux, l’un des axes de la coopération marocaine en Afrique. Plus de 500 imams maliens ont été formés par le Maroc, avec un programme vaste (cours sur l’histoire, les institutions du Mali, le calcul astronomique, les médias, les droits humains). Il vient en antagonisme avec l’ignorance, l’obscurantisme et la barbarie que veulent propager certains. Enfin, on peut évoquer aussi les 2 phases de régularisations importantes de migrants africains permettent que ces derniers puissent vivre dignement. On peut plus parler d’un travail de longue haleine mené depuis le début du siècle. Il permet au Maroc de construire ces relations et de développer des opportunités équitables. Cela constitue aujourd’hui le socle des relations avec son continent d’appartenance. Nous sommes donc bien loin d’un simple hold-up !

Par ailleurs, dans la course africaine, le Maroc doit faire face à de nombreux nouveaux acteurs (Chine, Russie, Turquie, etc..). Le Royaume a t’il les moyens de les contrer ou doit-il s’appuyer sur ses relations particulières avec l’Union Européenne ?

Amine Harastani-Madani : Il n’y aucune illusion à se faire ! Le Maroc ne peut rivaliser avec aucun de ces pays sur le plan économique. Toutefois, le Maroc a une carte à jouer. La stratégie en termes d’investissements économiques en Afrique contraste avec les paradigmes existant jusqu’il y a peu en Afrique. Souvent, les projets ou partenariats ne profitaient pas aux deux parties. Ils maximisent les gains de certains investisseurs non-africains par rapport aux pays africains. Ce n’est pas le cas du Royaume qui applique le « gagnant-gagnant ». Cette implication ferait du Maroc un partenaire privilégié, encore plus qu’aujourd’hui, de la souveraineté économique de l’Europe.

Toutefois, le continent fait face à une crise sanitaire majeure. Quels sont les défis à relever ?

Amine Harastani-Madani : La pandémie du Covid-19 est loin d’être vaincue. On décompte au mois d’Août 2020, plus d’un million de cas en Afrique. J’espère un électrochoc.  Le défi majeur est le dimensionnement des  système de santé et la capacité à tester, à hospitaliser et à gérer les flux de malades. Cela reste tributaire des politiques nationales en  termes de santé. De même, sur le plan économique, se pose la question de la mondialisation et de la dépendance de pays lointains souvent situés de l’autre côté du globe. Avec la paralysie des chaînes  logistiques, la viabilité  de ce système peut être remise en cause. De plus, le repos climatique durant les mois de confinement témoigne du  désastre écologique de la planète.

Dés lors, quel modèle devrait adopter le Maroc et l’Afrique dans leur politique d’avenir ?

Amine Harastani-Madani : L’idéal serait un  modèle plus proche, plus frugal, plus responsable, plus durable. Le Maroc pourra consolider son leadership de part son expérience. Il mettra à disposition de l’Afrique son capital de crédibilité sur les questions de développement durable. Imaginer un marché africain intégré, soutenable et performant libérerait le continent du déséquilibre qui s’exerce sur lui. Le continent a peu profité de la mondialisation. Des chaînes de production et de  consommation régionales voire continentales resteront toujours plus soutenable qu’un système mondialisé. Elles offriront plus  d’indépendance stratégique à l’Afrique.
Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.