Antiracisme : les nouveaux visages de la lutte

 Antiracisme : les nouveaux visages de la lutte

crédit photo : Lionel Bonaventure/AFP


Longtemps préempté par la machine SOS Racisme, satellite du Parti socialiste dans les années 1980, l’antiracisme connaît aujourd’hui une mutation, notamment grâce aux réseaux sociaux. Il est porté par une nouvelle génération de militants, soucieux de parler et d’agir de manière autonome.


“Alors, assez de l’antiracisme folklorique et bon enfant dans ­l’euphorie des jours de fête !” Cet extrait d’un morceau collectif (1) entonné par de nombreux rappeurs français, dont Akhenaton, Assassin ou Fabe, pourrait-il laisser son empreinte dans le domaine de la lutte contre le racisme ?


Nous sommes à l’été 1997. Ce collectif d’artistes, à l’initiative du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), réagit, dans la rime, au durcissement des lois de l’immigration, décidé par Jean-Louis Debré, alors ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Juppé. Les mots sont durs : “Un Etat raciste ne peut qu’engendrer un Etat raciste”, mais ils trouvent leur écho auprès du ­public de ces artistes engagés. Surtout, ils marquent la ­volonté d’en finir avec la vieille lutte antiraciste, version années 1980. Et là, les regards se tournent bien sûr vers l’association SOS Racisme, qui a vu le jour le 15 octobre 1984. Emanation du Parti socialiste (PS), l’association et son slogan “Touche pas à mon pote” connaissent une fulgurante ascension médiatique.


 


De l’“antiracisme de salon”


A l’époque, dans son livre Histoire secrète de SOS Racisme (2), Serge Malik raconte son arrivée dans l’association, un jour de ­février 1985. Né d’un père musulman et d’une mère juive, l’auteur se sent à ce moment-là “proche de gens comme Toumi Djaidja”, ou d’autres “Beurs qui faisaient l’actualité”. Djaidja, devenu leader de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, en 1983, incarne cette jeunesse des quartiers, prise pour cible par certains policiers. Un combat égalitaire largement vidé de son sens par SOS Racisme. L’ouvrage de Serge Malik retrace bien l’odyssée de l’association dans l’espace médiatico-politique de ces ­années-là. Surtout, il révèle l’instrumentalisation politique de l’antiracisme par le PS, une démarche pensée en premier lieu pour contenir la révolte qui gronde. SOS fait de l’“antiracisme de salon”, loin de la base. Le tournant des émeutes de 2005, que l’association n’a pas vu venir, en est un exemple criant. Il en va tout autrement pour le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues), ­directement issu de la Marche de 1983 et bénéficiant d’un ancrage sur le terrain. Cofondé par Tarik Kawtari, le MIB, aujourd’hui disparu, regroupe alors des personnes qui “se ­reconnaissent dans la Marche avant même qu’elle ne démarre, le 17 octobre 1983”, expliquait-il dans un entretien donné à la revue Quartiers XXI. Tarik Kawtari rappelle aussi “qu’il s’est passé beaucoup de choses avant”.


Un constat auquel adhère Youcef Brakni, professeur d’histoire-géographie, militant des quartiers populaires à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et ancien membre du Parti des Indigènes : “Les courants antiracistes autonomes ont toujours existé”, dit-il, citant l’exemple du “mouvement ouvrier des travailleurs arabes, actif dans les usines Talbot de Poissy ou chez Citroën-­Aulnay, entre 1982 et 1984”, déjà fortement mobilisé “contre les crimes racistes et policiers”. Youcef Brakni souhaite en finir avec “le mythe des parents qui rasaient les murs”, revenant sur “le rôle du FLN, qui a organisé la gestion des bidonvilles en France tout en politisant l’immigration française.”


 


Nouvelle forme, nouvelles figures


Ce rappel historique permet de mieux comprendre la trajectoire des mouvements antiracistes d’aujourd’hui et les vestiges sur lesquels ils reposent. Leurs ancêtres, menés par les “parents”, ont eux aussi essuyé les accusations d’islamisme à l’instar des anti­racistes actuels, régulièrement, taxés de “communautarisme” ou “d’islamisme”. En 1983, Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, qualifie le mouvement social des ouvriers immigrés de Talbot-­Citroën de “grèves saintes d’intégristes, de musulmans, de chiites”. Plus ­récemment, en 2015, Gilles ­Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, voit dans la Marche de la dignité organisée du 31 octobre 2015, à l’appel du collectif de la Marche des femmes pour la dignité (Mafed) et coordonnée par l’activiste Sihame ­Assbague : “Une mobilisation identitaire et antirépublicaine, dont la dénonciation de ‘la violence d’Etat’, de ‘la laïcité agressive’ et ‘du lobby sioniste’ sont les mantras”.


Si la forme et les figures de la mobilisation ont changé, force est de constater que l’antiracisme aurait besoin d’être adoubé à la manière de SOS Racisme pour obtenir les faveurs du système. Ce qui est loin d’être une demande de la part des antiracistes qui, contrairement à leurs pairs de l’époque, sont français de naissance. Un détail d’importance tant ils questionnent frontalement, en particulier sur les réseaux sociaux, les contradictions de la République française : inégalités, racisme et sexisme.


 


L’action de terrain demeure incontournable


Si “l’antiracisme est devenu obsolète” selon Serge Malik, qui est depuis revenu sur son analyse de SOS Racisme, la politologue ­Virginie Martin, elle, pointe la “mutation de la figure de l’immigré”. La question de la prise de parole a ainsi émergé comme le parangon de l’antiracisme actuel. “On est passé de ‘Touche pas mon pote’, avec tout le paternalisme que cela induit, au ‘pote’ qui parle pour lui-même.” Si cette posture dénonce le racisme, elle interpelle aussi les tenants de l’égalité républicaine. “La République, une et i­ndivisible, surplombe les individus mais, surtout, n’admet pas que des têtes dépassent. Elle refuse de voir que, derrière les citoyens, il y a une pluralité d’individus, de croyances, de parcours”, analyse-t-elle.


En filigrane, pour la politologue, se pose la question de l’altérité, qui conduit visiblement vers la polarisation. Un véritable tremplin pour les réseaux sociaux. Selon Youcef Brakni, “ces derniers permettent de mobiliser virtuellement des milliers de personnes, d’instituer un rapport de force avec les médias, mais l’action de terrain est incontournable pour faire bouger les lignes. Sans compter que les échanges sur le web alimentent parfois un dialogue stérile”. Virginie Martin abonde en ce sens : “Sur Twitter, une forme de radicalité s’est mise en place. Les clashs font partie du combat.” De là à faire avancer les causes, c’est une autre question… 


(1) Extrait du titre 11’30 contre les lois racistes, Assassins productions (1997).


(2) L’histoire secrète de SOS Racisme, de Serge Malik, a été réédité en 2014 sous le titre Sous le béton, des racines (éd. Les points sur les I).


La suite du dossier :


La haine de l’autre, ça se déconstruit


Contre les clichés, le rire


Autopsie du racisme ordinaire


Extension du domaine de l’insulte


 


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