Edito. « Optimiste pour le Maroc, je reste pessimiste pour les Marocains »

 Edito. « Optimiste pour le Maroc, je reste pessimiste pour les Marocains »

Fadel Senna / AFP

Est-il possible d’avoir un regard heureux et apaisé sur l’avenir du Maroc ? De porter une vision du pays « plus optimiste », malgré tout ce qui ne fonctionne pas, même si cela ne s’articule avec l’actualité anxiogène la plus immédiate aggravée par les maux de la mondialisation, guerres, famines, pénuries de toutes sortes ?

 

Oui, à condition de se projeter sur l’après-guerre (les pandémies, les guerres, les conflits géopolitiques ne sont jamais éternels puisqu’ils servent les intérêts des puissances du moment), or, et c’est ça la bonne nouvelle, plus que tout autre pays dans le monde, le royaume est en train de travailler pour le futur plus qu’il ne se focalise sur le présent.

Le pays a la chance d’avoir un monarque qui ne s’embarrasse guère des contraintes de la conjoncture, il est dans le temps long ; et le temps long pour Mohammed VI, c’est l’ouverture africaine pour que le gâteau africain soit partagé sur place par les intéressés eux-mêmes ; le temps long, c’est d’avoir permis au génie juif de l’âme marocaine de s’épanouir sans entraves en gravant en lettre d’or l’identité juive dans la constitution du pays ; le temps long, c’est aussi d’avoir mis en place aux deux extrémités du royaume deux ports rivalisant avec les plus grosses plateformes portuaires du monde, Tanger Med et bientôt Dakhla.

Le temps long, c’est aussi, cette autoroute et ce TGV qui ne sont que le prélude à une voie directe qui traversera l’Afrique de long en large et le tunnel entre l’Espagne et le Maroc n’étant qu’une question de quelques années, le trajet pourra se faire d’une traite de la capitale européenne la plus enclavée aux endroits les plus impossibles de la savane africaine. Les multinationales qui se bousculent au portillon l’ont bien compris, le Maroc est bien l’Eldorado si proche qu’on ne le voit même pas, ces mastodontes, que ce soit Renault, PSA, Ford ou encore les Américains et autres Canadiens sont loin d’être des mécènes, ils viennent au Maroc pour se faire du blé et remplir aussi bien leurs carnets de commande que leurs comptes en banque.

Le temps long, c’est d’avoir réussi à faire reculer le wahabisme et son avatar le djihadisme en Afrique, malgré ses pétrodollars, en le remplaçant par un Islam des lumières. Alors « tout va bien Madame la marquise ? » Malheureusement non, il y a le Maroc qui roule à toute vitesse et les Marocains qui avancent au pas de limace quand ils ne font pas carrément du surplace.

Notre objet n’est pas de revenir sur l’absence de civisme qui est devenue la règle dans tous les domaines du quotidien, ces grosses berlines qui transportent des grosses femmes, si promptes à vous abreuver de gros mots, devant les gros malls ; on passera sur ces messieurs BCBG aux tempes argentées, qui pourchassent les minettes devant les portails des lycées ; ces jeunes filles de bonne famille aux tenues qui semblent juste sorties de Pigalle et ces escrocs de restaurateurs qui vous empoisonnent allègrement, et j’en passe.

Mais plutôt la réponse à une question toute simple que toutes ces industries, ces multinationales, ces Etats qui se projettent dans un avenir bien proche au Maroc se posent déjà : où sont les jeunes qui vont bosser sur ces projets d’avenir, elle est où la main-d’œuvre qualifiée qui fera une grosse partie du boulot, où dénicher ces ingénieurs au profil pointu ou encore les cadres qui feront la différence ?

Bien sûr les tares que nous traînons sont énormes, mais même si, un jour, nous mettons un terme au népotisme, à la corruption endémique qui touche tous les secteurs et pas seulement la justice et l’administration, même si nous mettons en place le système de santé publique le plus performant du monde et même si nous mettons fin au trafic de psychotropes et la violence inouïe qui va avec, et enfin, même si on inverse la fuite des cerveaux, l’avenir du pays sera toujours handicapé par une tare majeure : la difficulté pour nos jeunes de s’insérer dans un tissu productif performant qui peut tenir la concurrence avec l’étranger.

Pour un pays dont le premier facteur de production qu’est le capital est frileux, il reste une seule option, un taux de productivité élevé. Or, à long terme, la hausse durable de la productivité ne peut pas se maintenir sans un apport régulier d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et qui ne peut venir, elle, que d’une école performante.

Selon les derniers chiffres de l’Unesco, les dépenses consacrées à la recherche et au développement (R-D) en pourcentage du PIB du Maroc sont bien cotées par rapport au monde arabe (0,9 %) mais elles restent bien en deçà des chiffres alignés par le monde occidental (les États-Unis et le Canada ont respectivement consacré 2,7 et 1,6 % de leurs dépenses à la R-D).

En troisième cycle universitaire, qui est le niveau où sont menées les recherches permettant de déboucher sur la production de biens à forte valeur ajoutée, d’après la Banque mondiale, le Maroc ne compte que 1 000 chercheurs par million de personnes, dont la grande majorité concentrée dans les deux grandes capitales économique et administrative (Rabat et Casablanca).

Mais le pire dans tout cela, c’est la qualité des travaux de recherche puisqu’il s’agit, dans la grande majorité des cas, de travaux de recherche fondamentale à intérêt limité, souvent nul, dès qu’il s’agit d’applications pratiques. Aujourd’hui, un enseignement qui ne prépare pas à la vie est un échec flagrant.

Au test PISA (réalisé par l’OCDE), qui évalue l’acquisition des savoirs des élèves de 15 ans dans plusieurs pays, au Maroc, ils sont environ 1 % des élèves à atteindre le niveau 5 ou plus en mathématiques, alors que la moyenne OCDE est de 11 %.

Six pays et économies asiatiques avaient les plus grandes proportions d’élèves : Pékin, Shanghai, Jiangsu et Zhejiang (Chine – 44 %), Singapour (37 %), Hong Kong (29 %) et la Corée (21%). Ces élèves peuvent modéliser mathématiquement des situations complexes et peuvent sélectionner, comparer et évaluer des stratégies de résolution de problèmes appropriées pour y faire face.

Le tableau du primaire est pire, car l’enseignement reste archaïque, malgré tous ces établissements privés aux noms pompeux qui fleurissent à tout bout de champ, de préférence piochés dans la culture occidentale. Pythagore, Socrate, Spinoza ou encore Camus doivent se retourner dans leurs tombes s’ils voyaient à quel degré de médiocrité leur patronyme est associé.

Au passage, on ne peut s’empêcher de saluer le génie de ce ministre de l’Education nationale de triste renom qui avait lancé le programme « Génération de l’école de la réussite » qui a ouvert la porte à une baisse de niveau telle que les élèves poussés dans les classes supérieures sans aucun bagage intellectuel se retrouvaient en fin de parcours devant un examen du bac avec pour seul atout la virtuosité (ou pas) de leur compétence en triche.

Si le Maroc se rêve en nouveau dragon, le niveau d’enseignement est non seulement un obstacle au développement, mais il reste un véritable fléau pour notre société et exige, toute honte bue, autre chose que les fameuses journées de concertation nationale « Pour une école de qualité pour tous », lancées par Chakib Benmoussa.

Si l’objectif du patron de l’Education est « de tracer ensemble le chemin de la mise en œuvre d’une réforme novatrice pour une école de qualité », il va falloir mettre la main à la pâte, en s’attaquant d’abord aux vrais défis de l’éducation et en priorité aux lobbies de l’enseignement privé.

« Lutter contre la déperdition scolaire à travers la généralisation de l’enseignement préscolaire et l’élargissement de l’offre scolaire », c’est bien mais il ne faut jamais oublier ce que disait déjà Benjamin Disraeli « de l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays. »

L’inclusion des jeunes dans notre pacte éducatif est une condition de la confiance des nouvelles générations dans l’école de demain. Pour leur donner une chance supplémentaire de s’épanouir, pourquoi ne pas créer les conditions d’une participation plus continue en intégrant mieux et plus les jeunes à la construction des politiques publiques concernant l’éducation.

L’une des tragédies de ce pays, c’est que chaque nouveau responsable jette à la poubelle les acquis du précédent (combien de rapports fournis clé en main pourrissent dans les caves des ministères) et au lieu de définir des priorités qui se focalisent sur le manque de lauréats qualifiés issus de l’école, on n’hésite pas à sacrifier une génération de plus pour assumer quelques maigres petites réussites dans un océan d’échecs.

 

 

Abdellatif El Azizi