Ibrahim Maalouf : « J’ai de l’empathie pour les gens qui souffrent »

 Ibrahim Maalouf : « J’ai de l’empathie pour les gens qui souffrent »

crédit photo : Bobby / French Lights

Entre ses répétitions pour son projet Trumpets of Michel Ange (T.O.M.A) et sa pièce avec Thibault de Montalembert, le trompettiste internationalement connu, le franco-libanais, Ibrahim Maalouf n’oublie pas de s’engager pour la paix pour le Proche-Orient.

Votre projet Trumpets of Michel Ange (T.O.M.A) transcende les genres et les styles. Est-ce pour décanter votre instrument du cadre uniquement classique ou jazz ?

Ibrahim Maalouf : Il y a toujours cette influence mais j’ai voulu aussi faire une grande place à la musique arabe. Je rends hommage à la trompette arabe qu’a inventé mon père avec un quart de ton supplémentaire. L’album va sortir fin mai. Derrière ce projet, j’ai voulu mettre en avant la notion de transmission et de préservation d’un héritage.

Vous avez enseigné pendant de nombreuses années dans plusieurs conservatoires et universités. Pourquoi avez-vous ce besoin de transmettre ?

Ibrahim Maalouf : J’ai arrêté l’enseignement de l’instrument car je voulais me spécialiser. J’ai découvert l’envie d’enseigner l’improvisation. Il y a quelque chose d’impressionnant à le faire comprendre. Durant ces moments, on apprend à jouer ensemble avec des gens qui ne le font pas généralement. Cela permet de dialoguer entre personnes différentes. C’est une philosophie fondamentale surtout à notre époque.

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L’improvisation est-elle un gage de liberté ?

Ibrahim Maalouf : la vraie improvisation est un gage de liberté. En jazz, les improvisations sont souvent très cadrées. On répète pendant longtemps avec de nombreux codes. Lorsqu’on lâche vraiment les règles, on transmet un vrai message de liberté. On accepte alors de se tromper et de déconstruire ce que l’on connaît. L’improvisation permet d’avoir de l’empathie, de la modestie et d’exprimer nos émotions. On accepte de faire face à ses propres erreurs et de se regarder dans un miroir. Cela concerne la musique, les autres arts mais aussi la vie au quotidien. Elle nous nous ouvre à une vision des choses plus humaines. La rencontre et l’acceptation de la différence créent quelque chose de génial.

Ibrahim Maalouf et Hiba Tawaji
Ibrahim Maalouf avec une trompette customisée par le sculpteur Richard Orlinski et sa femme, la célèbre chanteuse Hiba Tawaji dans une tenue Dolce & Gabbana aux Grammy Awards (crédit photo : French Lights)

Vous avez été nominé pour la deuxième fois aux Grammy Awards. Vous attendiez-vous à participer à cette cérémonie et à effectuer une tournée aux Etats-Unis et au Canada à partir d’Avril 2024 ?

Ibrahim Maalouf : Bien sûr, cela me fait plaisir. Je suis un franco-libanais qui joue une trompette un peu bizarre, né dans la musique arabe (Oum Khaltoum, Farid El Atrache,..) et qui a étudié au conservatoire de Paris. J’ai toujours été indépendant avec des albums qui sortent sur mon propre label. Etre mondialement connu, c’est la reconnaissance du travail d’un artisan qui a construit son parcours avec ses mains depuis 20 ans. Au delà de l’égo ou de l’artiste, j’apprécie qu’on honore le parcours que j’ai effectué. Dorénavant, je joue en Europe, en Asie, aux Etats-Unis, dans les pays arabes, en Afrique. Le business de la musique s’est globalisé. Je ne chante pas dans une langue spécifique. Les gens commencent à m’écouter et j’aime bien l’idée de trouver un public au delà des pays que je connais.

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Dans votre album Capacity to Love, vous faisiez une belle place à des artistes internationaux mais aussi à des stars du cinéma (Chaplin, Sharon Stone). Vous avez aussi composé de nombreuses musiques de films. Quel espace d’imaginaires vous donne cet art ?

Ibrahim Maalouf : Il s’agit du prolongement de tout ce que je fais depuis le début de mes trois premiers albums Dia. Cela représentait presque 10 ans de travail. Je me disais souvent à cette époque-là, que c’était des musiques de films qui n’avaient pas trouvé preneur. Dans les faits, je ne les avais montré à personne. J’ai toujours eu à cœur d’imaginer ma musique pour des films ou de la danse par exemple.

Vous allez jouer la pièce « Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute » au théâtre le 13ème art. Allez-vous abandonner votre instrument pour les planches ?

Ibrahim Maalouf : Cette pièce a été écrite par une actrice, autrice et metteuse en scène, Denise Chalem, née en Egypte et qui a vécu en France. Elle s’est basée sur les chroniques d’un auteur algérien, Kamel Daoud. Elle évoque cette amitié profonde entre un Français et un Algérien que tout sépare. C’est vrai que je vais vraiment jouer du texte. Toutefois, si j’ai un trou de mémoire, je pourrais utiliser mon piano et ma trompette (rires).

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La situation au Proche-Orient appelle à un engagement des artistes. Avez-vous ressenti le besoin de vous exprimer sur le sujet ?

Ibrahim Maalouf : La question ne se pose même pas. J’ai de l’empathie pour les gens qui souffrent. Je me mets à leur place. J’ai condamné fermement ce qu’a fait le Hamas le 7 octobre. J’étais vraiment désolé pour les personnes qui vivaient ce drame. Depuis, je regarde tous les jours ce qui se passe à Gaza et je pleure. Je suis extrêmement révolté par ce qu’il se passe sur le terrain. J’ai réagi sur mes réseaux sociaux et dans mes concerts. Je me sens même coupable de continuer à vivre normalement alors que des milliers de civils et d’enfants innocents perdent la vie. Je suis choqué que la communauté internationale n’arrive pas à aboutir à un cessez-le-feu pour arrêter de tuer des civils.

Comment réagit votre public quand vous parlez de ce sujet ?

Ibrahim Maalouf : J’ai systématiquement des réactions hostiles et des réactions de soutiens et d’encouragements sur les réseaux sociaux. Je suis triste que l’on ne comprenne pas ce qu’il se passe. En 1945, une grande partie de la population mondiale a pu faire le deuil des camps de concentration en se disant que l’on ignorait ce qu’il se passait pour une communauté attaquée parce que juive. Aujourd’hui, on ne peut plus le dire pour Gaza. Cela se passe sous les yeux du monde entier. Ceux qui doutent ou relativisent sont inconscients. Ils mettent en jeu l’équilibre mondial. Si on laisse à Israël cette possibilité de nettoyage ethnique, on ne pourra plus jamais critiquer un pays coupable de tels massacres. Cela me fait peur pour Gaza mais aussi pour mon Liban qui vit également des bombardements de l’armée israélienne. Il est important de remettre de l’humain derrière ce qui se passe au Proche-Orient. Si l’on ne met pas des mots là-dessus, on devra en subir les conséquences dans quelques années.

Concerts T.O.M.A : 8 février 2024 à Antibes, 14 mai 2024 à Longjumeau

Concerts Quelques mélodies : 9 février 2024 à Orly, 4 mars 2024 à Talant

« Un homme qui voit rêve toujours d’un homme qui écoute » de Denise Chalem avec Thibault de Montalembert et Ibrahim Maalouf au théâtre 13ème art, Place d’Italie, 75013 Paris. A partir du 27 février 2024 jusqu’au 31 mars 2024.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.