Livres. « Salah Hamouri, Prisonnier de Jérusalem », un récit universel

 Livres. « Salah Hamouri, Prisonnier de Jérusalem », un récit universel

« Salah Hamouri, Prisonnier de Jérusalem » paraît ce jeudi 31 août aux éditions Libertalia. Un récit universel, fluide, emprunt d’humanité, loin des habituels essais théoriques et élitistes. JOEL SAGET / AFP

Pour la première fois, Salah Hamouri, qui avait toujours pris l’habitude d’utiliser le « nous, Palestiniens » parle à la première personne. Dans « Salah Hamouri, Prisonnier de Jérusalem », écrit en collaboration avec Armelle Laborie-Sivan, qui paraît ce jeudi 31 août aux éditions Libertalia, le Franco-Palestinien de 35 ans se livre comme jamais.

Salah Hamouri, incarcéré une dizaine d’années en Israël, revient en détail sur l’ignominie du régime colonial israélien et raconte, de l’intérieur, son système carcéral brutal mis en place par la puissance occupante pour détruire toute résistance palestinienne. Et qui, au final, au lieu de le briser, a renforcé la détermination de Salah Hamouri.

« Les interrogatoires, les incarcérations, les transferts, tout est conçu dans l’objectif de détruire psychologiquement les prisonniers palestiniens, afin qu’une fois sortis, ils soient dociles et renoncent à lutter pour leurs droits. Mais c’est un très mauvais calcul, les autorités israéliennes d’occupation se trompent complètement. (….) Je suis sorti de chacun de mes emprisonnements plus fort et plus déterminé à poursuivre la résistance », écrit Hamouri.

Salah Hamouri a sept ans quand son oncle est arrêté par l’armée israélienne. Quelques jours avant le procès, le clan Hamouri est autorisé à lui rendre visite en prison. « Pour accéder au parloir, il fallait passer devant des grilles qui nous séparaient des détenus. Ni ma grand-mère ni ma tante ne se sont rendu compte que mon oncle faisait partie de ces prisonniers : il avait été tellement torturé pendant les interrogatoires qu’il était méconnaissable, mêmes pour elles.  J’étais gosse, je ne me rendais pas compte de la gravité de la situation », se rappelle Salah Hamouri.

Neuf ans plus tard, c’est à son tour d’être arrêté. Il a 16 ans. En août 2001, en pleine seconde intifada, les Israéliens mènent des campagnes d’arrestations massives. Son tort ? Militer dans un syndicat lycéen. « J’étais un gosse, c’était la première fois que j’étais arrêté, et la situation était impressionnante. Ils m’ont directement emmené en section d’interrogatoire, m’ont fait entrer dans une simple pièce nue de 5 mètres carrés à peine et m’ont assis sur une chaise scellée au sol. Mes pieds et mes mains étaient menottés avec des chaînes attachées derrière le dos par un gros cadenas très lourd, qui rend impossible de détendre les bras », raconte Hamouri.

Un arrangement de « plaider-coupable », conclu avec la justice israélienne, le condamne alors à cinq mois de prison. La plupart des prisonniers palestiniens agissent ainsi. Le système de justice israélienne est tel que ceux qui refusent de tels accords se retrouvent systématiquement condamnés, le plus souvent à des peines très lourdes. « Ils ont face à eux des procureurs et des juges israéliens qui appartiennent au même corps militaire: “l’armée de justice” », explique Hamouri.

Un autre arrangement de plaider-coupable lui sera proposé le 17 avril 2008 pour sa troisième et plus longue incarcération. Il avait été arrêté trois ans plus tôt en 2005, et attendait toujours d’être jugé après 25 reports d’audience.

Accusé d’avoir projeté un attentat contre l’un des plus grands rabbins du pays, on lui proposa deux choix, une peine de sept ans ou une interdiction de territoire de quinze ans. Il accepta le premier. Il justifie alors ce choix : « Que répondre à ça ? C’était une pression terrible. J’ai partagé mon dilemme avec mes camarades de détention. (…) Certains étaient contre cet exil.  D’autres mon conseiller d’accepter, en utilisant ma nationalité française. (…) Mon choix était de rester aux côtés de mes camarades et ne jamais profiter du privilège d’être français. Pour moi le cœur de la résistance et du combat implique ma présence physique en Palestine.»

A ces détracteurs, Salah Hamouri précise: « Aujourd’hui, certaines personnes de mauvaise foi me traitent de terroriste en prétendant que j’ai reconnu avoir voulu commettre un assassinat. Pourtant, elles savent bien que je n’ai jamais dit une chose pareille et que j’ai toujours nié ce dont on m’accusait. Si j’ai dû signer un accord de plaider-coupable proposé par le procureur d’un tribunal militaire au service d’une force occupante, c’est pour m’éviter une peine d’emprisonnement de 14 ans ou plus ».

Le livre est également truffé d’anecdotes, parfois douloureuses, comme ce jour où un camarade de cellule de Hamouri enfermé depuis 25 ans avait reçu la visite de sa mère, atteinte d’Alzheimer et qui n’avait pas reconnu son fils, plongeant le prisonnier dans une immense tristesse. « De retour dans sa cellule, il sanglotait toujours, et quand on a compris ce qui s’était passé, on a tous été plongé dans un profond chagrin », se souvient Hamouri.

Mais au milieu de toutes ces difficultés, il y a surtout de la solidarité entre les prisonniers, où les journées sont rythmées comme du papier à musique : les prisonniers cuisinent et déjeunent ensemble, étudient ensemble. Des cours (philosophie, histoire, sciences politiques, etc.) sont assurés par de vieux prisonniers ou par un spécialiste d’un sujet particulier (journaliste, prof d’université). « Il fallait maîtriser le temps, pour qu’il ne nous écrase pas. Car les jours se suivaient et se ressemblaient terriblement », écrit Hamouri.

Aujourd’hui, interdit de séjour sur sa propre terre, – il a été expulsé à vie de Jérusalem vers la France en décembre dernier-, il continue la lutte, certain de la légitimité de son combat. Il multiplie les rencontres à travers le pays, pour faire connaître la situation en Palestine et porter la voix des prisonniers palestiniens. Il a été également invité au Sénat ou à l’étranger, comme aux Nations unies.

Une parole qui dérange de plus en plus. Depuis son retour forcé en France en décembre 2022, des groupes de soutien à la politique coloniale israélienne très bien organisés tentent de le faire taire lors de ses apparitions publiques.

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« Ceux qui veulent m’empêcher de témoigner ne se contentent pas de m’insulter. Ils me reprochent d’utiliser le terme de « déportation » comme si j’en avais pas le droit. Ils semblent plus choqués par les mots que par les actes commis et ignorent les conventions internationales ou font comme si elles n’existaient pas. En se focalisant sur le mot « déportation » ils essaient de jeter sur moi l’anathème de l’antisémitisme, l’arme absolue en Europe. Mais de même que les forces israéliennes fouillaient en vain mon domicile à la recherche d’armes, ils ne trouveront pas chez moi la moindre once d’antisémitisme. Je connais l’histoire du 20e siècle et je comprends que le mot déportation soit chargé pour les Européens. J’en suis désolé, mais je n’y suis pour rien. C’est le terme qui a été utilisé tant par les autorités ou la presse israélienne que par les ONG internationales pour définir ce qui m’est arrivé : une force occupante m’a déporté de ma terre natale, par la force et sous la contrainte », rectifie Hamouri.

« Salah Hamouri, Prisonnier de Jérusalem » est un récit universel, fluide, emprunt d’humanité, loin des habituels essais théoriques et élitistes. Et c’est sa force. Ce livre réussira à convaincre même celles et ceux éloignés de la cause palestinienne. A lire absolument.

 

Nadir Dendoune