Tunisie- Ennahdha publie bientôt son programme Ghannouchi se veut rassurant mais reste flou

Le programme d’Ennahdha est prêt et il sera rendu public très prochainement. En attendant, Rached Ghannouchi, son leader, a donné quelques indications sur les positions de ce parti, dans une interview accordée au quotidien Achourouq (parties 1 et 2, les 26 et 27 août). Ces déclarations précisent un peu plus la pensée et les positions du Mouvement, tout en laissant dans le flou des questions très importantes.
Au final, à l’échelle du  monde islamique, Ghannouchi apparaît comme faisant partie des plus modérés leaders islamistes et exerce une influence modératrice ; par contre, à l’échelle de la Tunisie, ses positions manquent de précision et des franges non négligeables de la population (sans pouvoir les quantifier), le jugeront extrémiste ou trop à droite. Notre lecture-résumé de l’interview.

•    On ne sait pas si Ghannouchi essaie d’islamiser la modernité ou de moderniser l’islam. Mais il essaie, c’est sûr, d’aboutir à une synthèse, à un compromis entre le monde moderne et la foi.

 

•    Un chef qui a un sentiment de puissance.
o    A sa droite, le Hezb Tahrir (parti de la libération islamique, filiale ou franchise d’un parti panislamique créé par un Jordanien, qui prône le califat) et les salafistes. Ils sont « des frères avec qui nous dialoguons ».
o    A sa gauche, les partis progressistes, les laïcs, les défenseurs d’une autre vision de la modernité, beaucoup de femmes, des défenseurs des libertés individuelles telles qu’universellement reconnues, tout un front virtuel anti-Ennahdha, anti islamisation. Ghannouchi les classe dans deux catégories : ceux qui ignorent l’Islam et Ennahdha. Et ceux qui font de l’épouvantail islamiste « leur fond de commerce ». Ces derniers sont « incurables ».
o    Quant aux milieux économiques, certains hommes d’affaires sont effectivement « inquiets » de la « pureté islamique », car ils préfèrent « la fange ».

 

•    Un parti déjà « majoritaire ». « Nous nous préparons à participer au gouvernement de la Tunisie ». Mais, « pour les cinq prochaines années, le pays a besoin d’un gouvernement de coalition ». A supposer que « nous obtenions la majorité, ce qui est difficile à cause du code électoral, nous sommes quand même pour un gouvernement de coalition. La situation du pays ne saurait être assumée par un seul parti ». « Nous savons que notre Mouvement représente la majorité au sein du peuple tunisien, nous obtiendrons la majorité des voix, mais le code électoral ne nous permettra pas d’obtenir la majorité des sièges ».

 

•    Libertés individuelles. « Depuis plus de vingt ans, Ennahdha réaffirme son respect de la citoyenneté égale entre tous les Tunisiens, sa défense des libertés publiques et privées, conformément aux fondements de tout système démocratique ».  Le Mouvement a été « pionnier pour ancrer les principes démocratiques dans la culture islamique ». Il a contribué à « faire évoluer la pensée islamique dans le monde ».

•    Organisation du parti. Ghannouchi ne sera candidat ni à la tête d’Ennahdha, ni pour l’Etat tunisien.  Le congrès aura lieu début 2012.

•    Le financement du parti. Là, il n’a pas été convaincant. Il a en effet déclaré que Ennahdha compte environ 30.000 adhérents dont chacun reverse 5% de ses revenus. De ce fait, Ennahdha n’aurait pas besoin de financements étrangers. En réalité, ce qu’il faudrait, c’est publier régulièrement les comptes et auditer les comptes actuels, par des auditeurs indépendants.

•    Un million d’adhérents.  Rached Ghannouchi annonce que son parti allait bientôt ouvrir la porte des adhésions et qu’il s’attend à ce qu’il atteigne 1 million de membres.

•    L’Etat vu par Ennahdha. « L’islam n’a pas fixé la forme que doit revêtir l’Etat car celle-ci doit répondre aux contingences et intérêts du moment ». « Nous sommes contre l’existence d’une institution qui parlerait au nom de l’Islam, la religion ne doit être le monopole de personne ».  
o    Personne ne doit exercer une tutelle sur la conscience des gens, ni sur la manière de manger, de vivre leur vie familiale, de s’habiller. La religion sans liberté de choix ne serait qu’hypocrisie. L’islam n’est pas une organisation de l’Etat mais une référence pour lui, pour les lois, pour les valeurs et pour les politiques publiques.
o     La compréhension et l’interprétation de la religion sont détenues par les citoyens qui les exercent à travers leurs représentants élus. Le parlement devient un espace de fetwas, de législation et de définition de la position de l’islam des différentes questions qui se posent dans le pays.
o    Ghannouchi ne dit pas ce que serait sa position si ce parlement démocratiquement élu adoptait des positions que lui considèrerait comme non conformes à l’islam. Il ne dit pas non plus si des principes constitutionnels viendraient fixer pour un temps plus ou moins long, un cadre et des garde fous à ce que pourraient ou ne pourraient pas décréter les élus de la nation. Car à le suivre, il n’est pas exclu que les élus de la nation décident par un vote majoritaire, de rétablir la polygamie. Il ne le dit pas comme ça, mais la logique qu’il expose peut conduire à cela, sauf s’il y a des garde fous dans la constitution.

•    Les questions les plus importantes ont été évitées, soit qu’elles n’ont pas été posées, soit que l’interviewé n’a pas voulu y répondre. Les électeurs tunisiens auraient aimé savoir ce que proposera précisément Ennahdha comme mouture constitutionnelle, notamment pour ce qui concerne les libertés individuelles. On aurait aimé savoir  également  quelles sont les positions précises du parti concernant la liberté de conscience, l’égalité hommes-femmes, le code du statut personnel, la mixité, la violence, le tourisme etc…

Au final, beaucoup de propos qui se veulent rassurants, mais l’essentiel a été évité :  quelle sera la constitution que proposera Ennahdha, notamment dans sa partie libertés individuelles ? Beaucoup de Tunisiens s’en inquiètent, et cette inquiétude n’est provoquée ni par une méconnaissance de l’islam, ni par un fond de commerce qui utiliserait l’épouvantail  islamiste. C’est une inquiétude qui concerne notre devenir, notre vie quotidienne et celle de nos enfants.

Soufia Limam

Soufia Limam