Tunisie. Le CPR s’attaque au mariage civil, levée de boucliers des notaires
Invoquant « la nouvelle donne post révolution » en matière d’emploi et de vie chère en Tunisie, le bloc CPR a présenté à l’Assemblée constituante un projet de loi visant à amender la législation régissant le mariage civil. C’était sans compter le corps de métier des notaires : ils dénoncent une atteinte à leur fonction ainsi qu’un texte rétrograde.
L’info est passée quasi inaperçue lors de sa première apparition dans le quotidien Assabah du 23 février 2012. A l’initiative d’Amor Chetoui, lui-même notaire de formation, le bloc Congrès Pour la République propose à la Constituante 3 textes de loi en rapport avec l’état civil et la création d’une nouvelle fonction : celle de « maadhoun charîi », sorte de fonctionnaire hybride, à mi-chemin entre l’huissier notaire et l’homme de religion.
Le projet de loi vise à séparer, en matière de contrats civils, contrats commerciaux et contrats de mariage. Ceux-ci ne relèveraient plus du notariat mais des diplômés en théologie.
Le projet de loi prétexte que ces derniers souffrent d’un taux de chômage particulièrement élevé, pour les habiliter à approuver dorénavant les mariages.
Etrangère à la Tunisie, la fonction du « maadhoun » est surtout connue en Egypte et dans les pays du Golfe. Problème, le projet de loi fait preuve d’un flou juridique quant aux mariages qui seront contractés via un « maadhoun » : une autorité religieuse s’y substitue-t-elle à l’institution du mariage civil et ses règles ?
C’est ce que l’esprit de la loi laisse envisager, si l’on considère surtout la situation des droits de la femme dans les pays où l’auteur du texte de loi est allé le calquer. D’où une polémique qui ne cesse de grandir.
Ce n’est pas la première fois que le CPR est accusé de tenter la tactique du ballon d’essai. Il y a un mois, Siham Badi, ministre de la Femme issue du même parti, émettait l’idée selon laquelle le mariage « orfi » (sans contrat civil) relevait des libertés individuelles. Déclaration d’autant plus ambiguë qu’elle fut faite sur fond de multiplication de cas de mariages religieux dans les facultés aux prises avec le phénomène salafiste.
Tollé chez les notaires
Le notariat est un corps de métier déjà sous tension en Tunisie. La grogne y est forte depuis le décret-loi organisant la profession d’avocat, datant de mai 2011, et qui limite leur champ d’action.
C’est donc une restriction de trop que dénoncent Imed Amira, président de l’Association nationale des chambres des notaires, ainsi que Nadia Ben Jemâa, notaire en colère que nous avons interrogée à Tunis. Pour elle, l’autre argument du prix élevé de location des mairies ne tient pas non plus la route.
Hier mardi, eux et leurs confrères ont manifesté devant l’Assemblée constituante pour réclamer le retrait immédiat d’un projet de loi qu’ils estiment de surcroit réactionnaire et liberticide.
Mise à jour
Il n’en fallait pas plus pour que le CPR, du moins l’un de ses élus, renonce publiquement au texte incriminé.
En fin de journée, Dhamir Mannai déclare à la TAP que le projet de loi « ne sera pas validé par les commissions concernées à l’Assemblée ». Une déclaration qui reste équivoque. L’élu ne précise pas s’il spécule ici à titre personnel ou s’il relaye une position interne d’une commission dont il est membre.
Quoi qu’il en soit, le CPR apparait une fois de plus comme une entité ravagée par les dissensions internes et les divergences de vues. Il traine désormais la réputation de parti identitaire accumulant les excentricités et les dérives droitières. Marzouki, son fondateur historique, est toujours aux abonnés absents.
Plutôt embêtant pour celui qui, depuis mardi, est nominé pour le prix Nobel de la paix.
Seif Soudani