#4 : Messaouda 84 ans : « Vendredi, j’ai rajouté une prière.»

 #4 : Messaouda 84 ans : « Vendredi, j’ai rajouté une prière.»

Messaouda Dendoune


« Journal du confinement» de Messaouda Dendoune 84 ans, habitante de la cité Maurice Thorez à l’Ile-Saint-Denis, 93450.


« Pour moi, c’est pas difficile le « confinement ». Ça ressemble à ma vie de tous les jours. Comme beaucoup de mamans de ma génération, rester à la maison, c’est normal. Y a juste les courses au marché que je peux plus faire. J’aime bien aller au marché de Saint-Denis, rencontrer du monde. Y a beaucoup de gens qui me parlent maintenant parce que je suis un peu « connue ». C’est depuis que mon fils a fait un film sur moi. Dans le tramway, y a des jeunes qui me disent « Bonjour Messaouda ».


Je sors plus depuis 10 jours parce que c’est trop dangereux, j’ai 84 ans. Mais mes enfants m’apportent ce dont j’ai besoin. Comme d’habitude, je me lève vers 4h du matin pour aller aux toilettes. À mon âge, on a du mal à se retenir. Et après, je me recouche. En ce moment, je dors pas très bien : je suis inquiète pour la nouvelle génération. En temps normal, ma fille Merbouha vient me voir avant de partir à son travail alors je suis toujours debout avant 8h pour préparer le café. Je n’aime pas  dormir tard parce que j’ai beaucoup de travail à la maison. Le ménage, ça se fait pas en deux minutes. Là avec le Coronavirus, je reste dans mon lit un peu plus longtemps le matin.


Quand mon mari était toujours avec moi, il fallait se lever à 6h parce que lui, il était très matinal à cause de son ancien travail. En ce moment, mon fils, le petit dernier, dort dans la pièce d'à côté. Je suis contente qu’il soit là. Je suis forte mais je n’aime pas rester seule. Pour pas que je tombe malade, on reste à distance. La semaine dernière, j’avais pas encore l’habitude alors je m’approchais un peu trop de lui. Il se mettait alors à me crier dessus, il ne le fait jamais pourtant. Là en écoutant la radio, j’ai compris qu’il fallait pas plaisanter avec cette maladie. J’ai peur qu’il y ait beaucoup de morts.


Ça a toujours été très propre chez moi. Je lave tout à l’eau de Javel. Tous les sols de l’appartement, la douche, les lavabos, la cuisine, les chambres, les poignées des portes, la vaisselle, les toilettes … Y a des gens qui disent que les vieux ils sont fous de mettre de l’eau de Javel partout mais ils se trompent, l’eau de javel, c’est efficace !


Hier encore, j’ai lavé tout l’appartement à l’eau de Javel. Quand mes enfants étaient plus jeunes, j’ai foutu en l’air pas mal de leurs vêtements à cause de l'eau de Javel. Ils étaient en colère mais maintenant ils ont tout oublié. J’en ai fait qu’à ma tête mais j’aime trop l’eau de Javel. Après avoir fait le ménage et tout désinfecté, je m'installe sur mon lit, j'allume la télé. Je regarde « les douze coups de midi » et le jeu avec Nagui que je ne louperai pour rien au monde. J'aime bien voir les gens heureux. J'ai vu trop de tristesses et de malheurs dans ma vie.


Comme je peux pas sortir, j'appelle ma famille et les amis. Surtout ceux que je n'ai pas le temps d'appeler en temps normal. Je ne sais ni lire ni écrire mais mes enfants ont inscrit sur un carnet les numéros en grand. Mon fils m'a offert un forfait illimité alors j'en profite. Hier, j'ai pu parler avec une cousine pendant 3 heures. C'est bien parfois d'avoir le temps, de moins courir.


Je fais mes 5 prières par jour. Je suis musulmane. J’aime tout le monde. Le vendredi, je prie toujours un peu plus. Vendredi, en plus des prières pour mes parents, mon mari et mes enfants, j’ai rajouté une prière. Pour la France. Pour les malades du Coronavirus".


Voir aussi :


Parole de confinés #1 : Les consulats marocains sur le pied de guerre


Parole de confinés #2 : Bloquée au Maroc, une étudiante en médecine raconte


Parole de confinés #3 : La restauration à bout de souffle


Parole de confinés #5 : Mokhtar : « Le handicap m’a appris à m’adapter à mon environnement »


Parole de confinés #6 : Claude, toxicomane depuis 30 ans : « J’ai peur de ne pas tenir »


Parole de confinés #7 : Le slameur Hocine Ben raconte

Nadir Dendoune