« Traître », « cinquième colonne » : la députée écologiste Sabrina Sebaihi face aux menaces

Depuis qu’elle a annoncé être vice-présidente du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée nationale, la députée écologiste Sabrina Sebaihi est la cible d’une vague d’insultes et de menaces. Pour Le Courrier de l’Atlas, elle revient sur ces attaques, la mémoire franco-algérienne et les tensions diplomatiques actuelles.
Vous attendiez-vous à un tel déchaînement de haine ?
Oui. Malheureusement, chaque fois que j’évoque l’Algérie, je reçois une avalanche d’insultes. Même lorsque je parle du droit des Palestiniens, les menaces ne sont pas aussi virulentes.
Déjà en avril 2023, alors rapporteure d’une proposition de résolution visant à faire reconnaître la répression des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 comme un « crime d’État », j’ai reçu un courrier menaçant, affirmant que des « représailles » seraient engagées contre moi et les députés favorables à cette reconnaissance. J’ai déposé plainte. J’ai aussi reçu une photo d’un couteau ensanglanté…
Avez-vous peur ?
Bien sûr, ce n’est pas rassurant. On me traite de « cinquième colonne », de « traître », et je reçois des menaces de mort. On me dit que je ne suis pas française, que je mérite la peine de mort, que certains viendront jusqu’à l’Assemblée nationale.
Quand les menaces sont trop fortes, j’arrête de publier mon agenda en ligne. Mais je ne céderai pas à l’intimidation. Le travail de mémoire entre la France et l’Algérie est indispensable. Il ne s’agit pas de repentance, mais de nommer les faits, de mettre des mots sur des maux pour construire un avenir plus serein.
Pourquoi cet engagement sur la mémoire franco-algérienne ?
Parce que l’apaisement des relations entre nos deux pays n’est pas seulement souhaitable, il est nécessaire. Depuis plus d’un an, je travaille sur les questions mémorielles liées à la colonisation. C’est encore plus essentiel aujourd’hui, alors que les tensions sont à leur comble.
Dans un contexte international instable, la France a besoin d’une relation constructive et respectueuse avec l’Algérie. Un Français sur quatre a un lien direct ou indirect avec ce pays : pieds-noirs, harkis, descendants d’immigrés… Nous devons remettre au centre la diplomatie, la discrétion et le respect mutuel.
Comment expliquez-vous les tensions actuelles ?
Bruno Retailleau incarne les idées de l’extrême droite au sein du gouvernement. Pour cette mouvance, l’Algérie est un échec dont les plaies ne sont toujours pas refermées. Il a notamment critiqué le remplacement du français par l’anglais dans l’enseignement primaire en Algérie, oubliant qu’il s’agit d’un pays souverain.
Sa posture est marquée par la xénophobie et un racisme décomplexé. On croirait qu’il pense encore que la France gouverne l’Algérie… Il instrumentalise cette relation pour servir ses ambitions politiques, notamment en vue de la présidentielle de 2027.
Par ailleurs, on observe une montée de l’algérophobie, ce qui est très inquiétant. La clé de la réconciliation repose sur le travail mémoriel. Il faut laisser les historiens faire leur travail, puis parvenir à une reconnaissance, sans quoi nous resterons dans un « je t’aime, moi non plus » perpétuel.
Quelles actions comptez-vous mener pour apaiser les tensions ?
Je travaille notamment sur la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945 en Algérie. Ce jour-là, alors que la victoire des Alliés sur le nazisme était célébrée, la répression par les forces françaises d’une manifestation à Sétif a fait des milliers de morts.
Nous préparons, avec plusieurs collègues députés et sénateurs, un voyage sur place pour commémorer le 80ᵉ anniversaire de cette tragédie, afin de mieux faire connaître cette réalité historique.
Avez-vous espoir dans l’avenir des relations franco-algériennes ?
Oui, et je le vois au sein du groupe d’amitié France-Algérie. Il rassemble des députés de tous bords politiques et permet d’échanger avec les parlementaires algériens sur les aspects économiques, culturels et politiques.
Pendant longtemps, les relations ont été marquées par ceux qui avaient connu la guerre d’Algérie et la colonisation. Aujourd’hui, une nouvelle génération émerge, désireuse d’avoir un regard moins passionnel sur cette histoire commune.
Quel va être concrètement votre travail au sein du groupe d’amitié France-Algérie ?
Nous allons mener de nombreuses auditions avec des acteurs ayant un lien direct ou indirect avec l’Algérie : entreprises, société civile, diplomates (même s’il n’y a pas d’ambassadeur actuellement).
Nous étudierons également comment renforcer les coopérations sur divers sujets, notamment écologiques, comme la préservation des fonds marins en Méditerranée, une mer que nous avons en partage.
Vous vous êtes abstenue de voter la résolution pour la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Pourquoi ?
Je tiens d’abord à rappeler que j’ai appelé à la libération inconditionnelle de Boualem Sansal, comme je le fais pour tous les prisonniers politiques enfermés pour leurs opinions, que ce soit en Algérie, en France ou ailleurs.
J’ai notamment pris position pour Christian Tein, leader indépendantiste kanak, emprisonné à Mulhouse depuis juin 2024.
Cependant, cette résolution n’avait rien à voir avec la liberté d’expression. Elle relevait d’une instrumentalisation politique, menée par la droite et l’extrême droite, dans le but de saboter méthodiquement les relations franco-algériennes.
Cette initiative n’apportait rien de plus que la résolution déjà adoptée par le Parlement européen en janvier dernier.
Je refuse que la diplomatie soit instrumentalisée à des fins politiciennes au détriment des intérêts des peuples concernés.