Tunisie. La campagne électorale permanente du président Saïed

 Tunisie. La campagne électorale permanente du président Saïed

Dimanche après-midi 25 septembre 2023, un important dispositif de sécurité perturbe le trafic : il s’affaire pour sécuriser, en la bloquant, la principale artère menant du centre-ville de la capitale vers sa banlieue sud. C’est que, sans raison apparente, le président de la République Kais Saïed a décidé de parcourir à pied la route quasi déserte menant de Tunis à Radès, soit environ 13 kilomètres.

 

La page officielle du Palais de Carthage s’en prévaut, elle titre : « Promenade à pied jusque Radès, en passant par Mégrine, pour s’enquérir des préoccupations des citoyens, constater l’accumulation des détritus ainsi que les bâtiments laissés à l’abandon, et les conséquences écologiques de cette situation ».

Sans que nul n’en comprenne réellement la pertinence, les moyens considérables de l’Etat sont mis à profit pour cet étrange exercice, où mis en scène et filmé y compris par des drones, le président déambule suivi par un cortège de véhicules s’étendant à perte de vue, tentant tant bien que mal d’assurer sa sécurité.

 

Symbolisme et improvisation

L’improvisation de la chose apparaît clairement lorsque, visiblement essoufflé, Saïed aperçoit une grande surface commerciale et décide d’y faire une incursion pour y effectuer l’un de ses exercices favoris : contrôler les prix et pester contre les prix de l’alimentaire, une boite de tomate en conserve à la main, face caméra.

« Le président ne comprend manifestement pas la notion même d’inflation », commente-t-on sur les réseaux sociaux où l’on s’agace que depuis plusieurs années maintenant le chef de l’Etat pointe du doigt de façon fort simpliste un seul et unique coupable : les circuits de distribution qui selon lui « affament à dessein le peuple ». Accompagné de son ministre de l’Intérieur, le président met en garde les hommes d’affaires du secteur agroalimentaire : « il va falloir qu’ils soient au rendez-vous de l’Histoire », conclut-il, menaçant.

Dans la foulée de la mise en ligne de cette vidéo, des pages Facebook pro Kais Saïed annoncent ce qui s’avère être une fake news : une mesure d’interdiction de voyager émise à l’encontre de Nabil Chaïbi, détenteur du Groupe Ulysse qui gère la franchise Carrefour en Tunisie, qu’il s’agit d’intimider par ce biais.

Clou du spectacle, le président Saïed s’arrête ensuite pour s’indigner que l’on ait repeint des murs où étaient apposés des graffitis élogieux à son égard : « ils étaient pressés d’effacer ces slogans sur les murs, mais n’ont pas les moyens de ramasser les ordures ! », fustige-t-il.

A croire que les mairies devraient dorénavant vérifier le contenu des graffitis avant de les recouvrir, sous peine de causer le courroux présidentiel. Plus sérieusement, la séquence est révélatrice du credo saïdiste qui fait la place belle au romantisme et au registre poétique : « J’avais bien dit que le véritable programme était écrit par les jeunes sur les murs », rappelle-t-il, faussement modeste et désintéressé.

Sorte de marche messianique ou de chemin de croix marathonien, cette marche du dimanche n’est pas sans rappeler le long calvaire symbolique des fanatiques du candidat Saïed qui venaient, à pied, du sud tunisien pour glaner une accolade avec leur idole, le seul à même à leurs yeux de défendre la veuve et l’orphelin.

La promenade de Kais Saïed se terminera par une étape incontournable, celle du guide touristique, où le président féru d’Histoire pose aux côtés d’une stèle commémorant le lieu où fut assassiné le militant syndicaliste Farhat Hached, tout en narrant aux badauds les circonstances de ce crime commis par l’ancien occupant français. S’en suit le rituel des quelques selfies accordés aux passants, et la boucle est bouclée.

Mais à quoi au juste a servi cette virée dominicale, à l’instar d’autres opérations de communication présidentielles similaires ? Rien sans doute, mis à part atteindre un point d’orgue d’une précampagne électorale précoce, mue en style de gouvernance du président éternel opposant.

 

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Seif Soudani