Vives tensions dans les relations entre la Tunisie et la Libye

 Vives tensions dans les relations entre la Tunisie et la Libye

Najla Mangouch et Othman Jarandi à Tunis

Les relations tuniso-libyennes viennent sans doute d’atteindre un plus bas historique. A Alger où s’est tenue les 30 et 31 août la réunion ministérielle consultative des pays du voisinage de la Libye, les amabilités entre homologues des deux pays ne trompent personne : des sourires de façade qui cachent un malaise d’une ampleur inédite.

Lors d’un long point presse de près d’une heure le 26 août dernier, le Premier ministre libyen Abdelhamid Dbeibah consacre les dernières minutes de son allocution à « des allégations venant d’un pays voisin », avant de nommer explicitement la Tunisie et d’adresser un message direct d’une rare virulence à ses dirigeants.

Il commentait ainsi le fait qu’une partie de la presse tunisienne se fait l’écho depuis le coup de force du 25 juillet d’informations en provenance de médias émiratis à propos de la présence de terroristes de l’Etat islamique prêts à franchir la frontière libyenne vers la Tunisie, en guise de supposées représailles des « Frères musulmans complices ». Le silence de la présidence de la République tunisienne, qui n’a pas démenti ces nouvelles, est perçu comme une forme d’acquiescement officiel, d’autant que la Tunisie a décidé concomitamment de fermer ses passages frontaliers avec la Libye.

« Il y a un point très important que je voulais aborder » affirme Dbeibah, le ton grave. « S’agissant du terrorisme et de certains de nos voisins qui nous accusent d’être des terroristes… D’où viennent au juste les 10 mille terroristes qui sont entrés dans notre pays ? Les libyens parmi eux se comptent sur les doigts d’une main !  C’est vous qui nous les avez exportés ! Le terrorisme nous vient d’ailleurs, spécialement de certains pays voisins. Notre peuple a combattu Daech à Syrte et partout ailleurs […]. Nous sommes un peuple souverain, nous n’accepterons pas ces allégations, et vous feriez mieux de faire votre autocritique avant de formuler ces accusations. Aujourd’hui j’ai envoyé une délégation de haut niveau en Tunisie pour comprendre et examiner avec la Tunisie ces graves soupçons déplacés », prévient-il.

« Si la Tunisie entend bâtir des relations honnêtes et saines avec nous, ils lui faut respecter son voisinage tout comme nous la respections en tant que pays ami. Mais si la politique veut instrumentaliser la question du terrorisme, sachez que nous ne sommes pas dupes : nous sommes au fait des manigances internationales et nul ne peut nous leurrer une seconde fois », poursuit Dbeibah.

Côté tunisien, la polémique grandit au lendemain de ces propos où des experts de la question libyenne surenchérissent sur les plateaux, accusant Dbeibah de monter en épingle une controverse de sorte de faire distraction et d’exporter les difficultés électorales auxquelles il fait face sur le plan national.

 

La Tunisie persiste et signe

Dans son communiqué, le ministère des Affaires étrangères tunisien va ignorer l’incident dans un premier temps en recevant la ministre libyenne Najla Mangouch, mais trois jours plus tard au sommet d’Alger, loin de tout rétropédalage, la position tunisienne ne laisse aucun doute quant aux tensions diplomatiques persistantes. Au nom de la défense de la paix et des intérêts libyens, la Tunisie défend avant tout sa propre sécurité en appelant solennellement au « retrait des forces mercenaires étrangères de Libye ».

« Nous exigeons un calendrier précis pour le départ des combattants étrangers », a martelé le ministre tunisien Othman Jarandi qui a mis cette requête en tête de ses doléances. Un durcissement explicité plus clairement encore dans une déclaration tunisienne officielle où la Tunisie dit « s’étonner des propos du chef du gouvernement libyen ». « La Tunisie ne saurait en aucun cas être une base arrière à l’exportation du terrorisme, ces propos sont mensongers et étonnants au moment où la Tunisie s’emploie à défendre son voisin libyen », assène le texte qui rappelle au passage que la Tunisie est membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour le mandant 2020-2021.

Impactées de plein fouet par la crise libyenne tout au long de la décennie écoulée, des dizaines de milliers de familles résidant dans le sud tunisien et dépendant des échanges commerciaux entre les deux pays se préparent, après une brève embellie, à renouer avec une inactivité à durée indéterminée.

Seif Soudani