Papa, qui t’es ?

 Papa, qui t’es ?

crédit photo : Sverre Hangland/Cultura Creative/AFP


A l’heure où la masculinité se réinvente, quel rôle joue désormais le père ? Quelle est devenue sa place dans la société ? Le pater arabe, distant et partisan d’une éducation rigoureuse, a-t-il été détrôné par le papa poule ? Témoignages. 


“L’autorité du père maghrébin, ça c’est unique en son genre ! Il ordonne, tu exécutes, ‘just do it’”, résume dans un de ses sketchs Foudil Kaibou (lire page 82), qui n’est pas le premier humoriste à railler la figure du “padre”. Smaïn et Jamel Debbouze, avant lui, ont également fait rire les foules en parodiant les méthodes éducatives, pour le moins sévères, de leur paternel. Cette façon d’élever les enfants est-elle dépassée aujourd’hui ?


 


Effacer les frustrations de l’enfance


Pour Ali Aouattah, docteur en psychologie et clinicien, “l’autorité des papas de l’ancienne génération a été connotée négativement. Ceux d’aujourd’hui ont été ­témoins de la remise en cause de cet héritage culturel. Leur position oscille alors entre des attitudes qui voudraient se démarquer de cet autoritarisme, le jugeant théoriquement ­improductif, et des attitudes plus valorisantes, certains mettant le fait qu’ils n’aient pas mal tourné dans la vie sur le compte de ce type de rapports.”


Qu’en pensent les concernés ? “J’essaye d’être autoritaire avec ma fille de 11 ans mais, j’ai du mal à lui dire non, concède Reda, 39 ans, comédien. Je m’efforce d’expliquer les choses, plutôt que de les imposer. Les­ ­papas de ma génération essayent d’effacer les frustra­tio­ns de l’enfance et de ne pas commettre les mêmes ­erreurs que leurs parents. Mon père travaillait dur pour que nous ne manquions de rien, mais passait peu de temps avec nous. On échangeait rarement, car beaucoup de sujets étaient tabous. Par pudeur, il ne dévoilait pas ses sentiments. Moi, je dis à ma fille que je l’aime. Je l’aide à faire ses devoirs et, surtout, je programme un maximum d’activités avec elle. On parle, on débat, car il est important d’éveiller son esprit critique.”


Le clinicien confirme que les néo-papas adoptent un comportement différent de celui de leur père, “dans la mesure où ils ont été socialisés dans une société qui a mis à mal et questionné le modèle éducatif des pères”. “Les enfants ont été témoins des différents modèles ­éducatifs, celui pratiqué au sein de la famille et celui ­véhiculé par les institutions sociales. Ils ont assisté à la ­dévalorisation et à la destitution du premier par le ­second”, ajoute Ali Aouattah.


Papa d’une fillette de 13 mois, Mokrane, 30 ans, n’est en France que depuis cinq ans, mais il s’est rapidement détaché du modèle traditionnel. “Je m’occupe de tout, je lui donne le bain, je la change, je me lève la nuit quand elle pleure, je lui donne le biberon… Je le fais avec plaisir. Mon père, je parie qu’il ne m’a jamais changé une couche.”


 


“Papa gâteau”, “papa copain”


L’image du père traditionnel étant fortement disqualifiée, la nouvelle génération est forcée d’expérimenter d’autres façons d’éduquer, non sans douleur, précise Ali Aouattah, en raison de sentiments de trahison et de déloyauté. “Il n’y a pas toujours une coupure nette avec l’ancienne façon de faire. Selon les trajectoires, on assiste à une grande diversité d’expériences, mais on n’aura pas une reproduction à l’identique de l’ancien modèle.”


Ainsi, Ali, 34 ans, chauffeur de taxi, travaille beaucoup, comme son propre père. Il n’accompagne pas sa fille de 5 ans à l’école, ne va pas la chercher, mais lui réserve régulièrement plusieurs plages horaires. “Le samedi, je l’emmène aux bébés nageurs et le mercredi, on va au cinéma. Je suis un papa gâteau, j’ai du mal à dire non mais, quand il le faut, je sais être autoritaire. Je suis ‘papa copain’, mais papa d’abord. Je ne suis pas ‘sec’, comme a pu l’être mon père. Comme lui, je donne de l’amour. La différence est que j’ai la chance d’avoir plus de moyens que lui et de traiter ma fille comme une petite princesse”, remarque-t-il.


Les papas consacreraient donc plus de temps à leurs enfants, que ce soit pour les devoirs ou les loisirs ? “On va sans doute vers un plus grand investissement, mais ce sont majoritairement les mamans qui ­accompagnent les enfants à l’école le matin, tranche Rachida, ex-institutrice et actuellement directrice dans un quartier populaire en région parisienne. Ce sont encore elles qui ­participent aux sorties organisées, assistent aux réunion­s et prennent ­rendez-vous avec la maîtresse.” D’ailleurs, pour contribuer à cette plus grande implication des pères, elle a ­décidé que, dorénavant, c’est le numéro du papa qu’elle composerait et non ­celui de la mère lorsqu’un élève est ­malade. Il n’y a pas de raison que l’institution scolaire n’applique pas l’égalité qu’elle prône.


 


Fille ou garçon, même éducation ?


Et à ce propos, les parents actuels se montrent-ils plus permissifs avec leur fils qu’avec leur fille ? “Difficile de répondre d’une façon tranchée, estime Ali Aouattah. Intuitivement, le traitement est plus égalitaire, mais cela dépendra beaucoup du parcours de chacun, de la nature du couple (la mère et le père ont-ils été socialisés de la même façon et dans la même culture ; l’un des deux partenaires ne vient-il pas du pays d’origine, et peut être animé par d’autres valeurs) ; de la ­présence ou non d’un réseau familial élargi ; autant de paramètres qui vont ­influencer le type de rapports et d’attentes qu’on édifiera avec ses enfants. Si le couple s’est construit, par exemple, sur un versant plus traditionnel dans sa conception éducative (notamment par le choix que font certains jeunes pour d’autres modes de vie que ceux véhiculés par la culture libérale occidentale), on retrouvera évidemment des penchants pour plus d’intransigeance, notamment vis-à-vis des filles (le port du voile notamment).”


Adel, responsable communication, 50 ans, assure, lui, avoir élevé ses deux enfants sans faire aucune ­distinction entre son fils et sa fille. “Qu’ils s’installent avec une personne d’une autre religion, ou du même sexe qu’eux, ne me pose pas de problème. Maintenant, je préférerais qu’ils viennent me dire qu’ils sont musulmans, mais je crois qu’ils sont athées.”


De toute façon, conclut Ali Aouattah, devenir parent est un moment compliqué pour des personnes issues de la migration. Car une question s’impose à elles : “Vais-je transmettre à mes enfants ce qui me définit moi-même au niveau identitaire ?”


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Fadwa Miadi