« Que la déchéance de nationalité passe ou non devant le Congrès, le mal est fait »

 « Que la déchéance de nationalité passe ou non devant le Congrès, le mal est fait »

Le projet de révision constitutionnelle divise profondément


Si la réforme contestée pour graver dans la Constitution française l'état d'urgence et la déchéance de nationalité a passé mercredi l'étape de l'Assemblée nationale, des doutes subsistent quant à sa capacité à franchir en l'état le cap du Sénat, et, à terme, d'être votée lors d'un nouveau Congrès à Versailles.


 


Éclatement de tous les blocs et pronostics incertains


« 317 voix (seulement) contre 199 ! », s'étonne Bruno Mège, qui remplace Claude Bartolone à la présidence de l'Assemblée lors de la séance du vote. Malgré cette large majorité, la cacophonie se poursuit dans les couloirs de l’hémicycle et dans les médias. Le résultat du vote montre surtout une profonde division à gauche comme à droite, où l’opposition – menée par François Fillon – au texte gagne du terrain.


Rien ne garantit donc que le Sénat, à majorité de droite, adopte dans les mêmes termes le projet de réforme constitutionnelle. La chambre haute va sans doute réécrire le texte en rétablissant la distinction entre nationaux et binationaux dans la déchéance de nationalité, qui avait été retirée de l’article 2 pour rallier certains élus de gauche. La position de la droite à ce sujet additionnée au morcellement de la gauche pour ce même article sensible (119 « oui », 92 « non » et 10 abstentions) rend le passage devant les parlementaires réunis en congrès hautement périlleux.


 


« Le mal est fait »


Même si le texte devait terminer in fine au fond d’une corbeille à papier, le vote des députés restera dans les mémoires en infligeant une douloureuse blessure à la cohésion nationale. Un affront aux binationaux que n’ont pas pu empêcher les opposants au texte. Dès lundi et l’adoption de l’article premier du projet de loi, le secrétaire de la section du PS de Berlin et membre du Conseil national du parti, Mathieu Pouydesseau, annonçait sa démission irrévocable de ses mandats.


« Il est temps pour le gouvernement de renoncer à ce funeste projet », estimait mercredi soir Pouria Amirshahi, député socialiste des Français du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest. Cette « victoire à la Pyrrhus masque une fracture profonde au sein de l’Assemblée nationale et sur tous les bancs », ajoute le député frondeur en pronostiquant un congrès très incertain. Prenant de plus en plus ses distances avec le gouvernement de Manuel Valls, l’élu né de parents réfugiés iraniens annonce qu’avec certains de ses collègues il continuera d’œuvre à « un autre projet fondé sur l’équilibre des pouvoirs – de plus en plus bafoué – et l’égalité réelle entre les citoyens. »


« Les citoyens binationaux manient plusieurs mondes, plusieurs langues et citoyennetés. Ils symbolisent en eux-mêmes ce que mondialisation a échoué : faire communiquer les nations par le bas et réunir les cultures dans un destin commun (…) Que la déchéance de nationalité passe ou non devant le Congrès, le mal est fait », a écrit à l’annonce du vote Stéphanie Pouessel, anthropologue à l’Institut universitaire européen et à l’École des Hautes Études en Sciences sociales de Paris, traduisant la pensée de nombreux Français dits issus de l’immigration.


Rached Cherif

Rached Cherif