Jusqu’à -13% de croissance, quelles conséquences pour le pays ?

 Jusqu’à -13% de croissance, quelles conséquences pour le pays ?

A -13% le pays sombrerait dans une crise dont les effets à moyen terme sont encore à l’étude

Discrètement, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a publié une note alarmante sur les évolutions économiques et monétaires relatives au deuxième trimestre de l’année en cours. Alors que les autorités tunisiennes parlaient jusque récemment d’un impact de -6 à -7% de la crise Covid-19 sur le taux de croissance, on y apprend que l’incidence de la pandémie correspondrait en réalité au double de cette estimation, soit jusqu’à -13% de taux de croissance.

 

Plus qu’une récession, nous sommes clairement face à une situation qui nécessitera un redressement de longue haleine. Selon la BCT, l’activité économique a ainsi connu une contraction historique, au « T2 2020 », sur fond des répercussions de la crise sanitaire Covid-19. Alors qu’un modeste mais positif +2,0% avait été enregistré au premier trimestre 2020, période non encore impactée par la crise, le taux de croissance se situerait aujourd’hui entre -12% et -10% en variation trimestrielle.

La BCT rappelle par ailleurs le creusement du déficit budgétaire à -3.847 milliards de dinars, fin juin 2020, contre -2.464 milliards un an auparavant. Le résultat de la baisse substantielle des recettes de l’Etat, conjuguée à une hausse des dépenses de fonctionnement.

Récession
La récession estimée en termes de glissement annuel pousserait ce chiffre dans un intervalle plus accentué (entre -12 et -13%). Mais la Banque centrale ne précise pas ce détail dans le texte écrit, autrement que par le graphique

 

Un demi-million d’emplois détruits

Pour l’expert en management public Moktar Lamari, il s’agit d’une récession profonde et lourde de conséquences. « Cette fois-ci, c’est la BCT qui le dit et sans détour », avertit l’universitaire, pour qui la situation est « terrible » pour le prochain gouvernement en pleine gestation. Dans sa brève allocution le 10 août au soir, le chef du gouvernement désigné Hichem Mechichi avait déjà reconnu que le taux de chômage s’établirait à au moins 19% d’ici la fin 2020, soit une progression d’environ 4%. Du jamais vu ces dernières décennies.

Trois conséquences majeures sont désormais prévisibles selon Lamari.

La destruction inéluctable, d’abord, des emplois liés à cette récession serait « désastreuse ». Une récente étude l’estime en effet à « potentiellement 500.000 destructions d’emplois », pour le seul secteur formel, suite à « un confinement mal pensé » au démarrage de la pandémie.

Le taux de chômage grimperait alors selon la même source à plus de 22 %, soit plus d’1,2 million de chômeurs à l’horizon automne 2020. « Cela modifierait la donne politique et stratégique pour le gouvernement Mechichi », déduit Lamari. La lutte contre le chômage et ses divers impacts sociaux, migratoires, sécuritaires et économiques remontera dans les agendas et les hiérarchies des priorités politiques. « Elles s’accaparera l’essentiel des ressources budgétaires disponibles ».

 

Menace sur les salaires du secteur public

Les chiffres de la BCT sont ensuite tout aussi alarmistes s’agissant des équilibres macro-économiques globaux du pays. « De facto, une telle récession réduit drastiquement les entrées fiscales de l’État et peut mettre en péril la capacité de l’État à payer les salaires et les indemnités sociales ».

Toujours selon l’universitaire, sans un recours encore plus massif à la dette, les comptes du Trésor public peuvent s’assécher plus vite qu’on ne le pense, ou qu’on le laisse croire… L’impact se fera aussitôt sentir sur la valeur du dinar et sur la capacité du pays à honorer ses dettes venues à maturation pour 2020 : près de 4 milliards de dollars.

Enfin, le coût du « manque de calibrage du confinement en durée et en intensité », ainsi que l’insuffisance des mesures d’accompagnement des PME, coûteraient à l’économie 10 à 12% de son PIB pour 2020. Soit entre 10 milliards de dinars et 15 milliards de dinars de perte sèche.

Seule éclaircie dans ce tableau particulièrement préoccupant, la progression des réserves en devises à 135 jours d’importation, en hausse de 7,5% par rapport à leur niveau de fin 2019. Une amélioration annoncée hier mardi, due à la baisse du coefficient d’importation en dinars, la Tunisie important désormais à moindre coût. Le fruit d’une légère mais sans doute éphémère stabilisation du dinar tunisien.

 

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Seif Soudani