La chronique du Tocard. A deux doigts de tout lâcher

 La chronique du Tocard. A deux doigts de tout lâcher




En panne de souvenirs heureux, j'étais à deux doigts de tout lâcher. De dire adieu à mon ancienne vie. Comme au début des années 90, en m'exilant pour l'Australie, où j'avais dit à la France Il vaut mieux qu'on en reste là. A l'époque, j'avais quitté en une journée, sur "un coup de tête d'écœurement", la cité Maurice Thorez de l’Île-Saint-Denis -9-3  pour Flat 2/70 Melody Street, à Coogee, dans la banlieue sud de Sydney.


 


J'avais échangé le gris des barres HLM, sa promiscuité, la situation sociale désespérante, ma vie sans avenir, pour les plages de sable fin, le soleil toute l'année, les barbecues en fin de journée et l'impression de pouvoir enfin atteindre le bonheur.


Et pendant ces 8 années de mon exil aux antipodes, j'avais été heureux. J'avais été heureux à en verser des larmes de joie chaque jour qui passait parce que j'étais atteint de plénitude exacerbée, de ce sentiment que je croyais réservé aux autres. Aux nantis, à ceux qui étaient nés sous une meilleure étoile que Gnoules.


J'avais grandi en banlieue nord de Paris, dans le fatalisme institutionnalisé, et d'un coup, sans prévenir, la vie m'offrait ce qu'elle avait de plus cher : l'espoir. Là-bas, au bout de quelques jours, j'étais devenu bien, j'avais pris le chemin de l'apaisement. Pas parce que j'avais changé à l'intérieur, mais parce qu'en Australie, sur cette terre d'immigration, j'étais enfin moi-même. On ne change jamais vraiment d'existence mais il arrive que la vie change pour nous.


En ce milieu du mois d'août, niché sur cette petite crique de la Grèce antique, tellement belle et pourtant oubliée de tous, j'étais de nouveau dans le même état d'esprit. De nouveau, j'étais prêt à quitter la France. Pour ne plus jamais revenir. Je voulais fuir au Nadir.


J'étais là, les yeux grand ouvert, assis sur des petits cailloux, le dos adossé à un rocher plat à regarder l'horizon. Au loin, un bateau naviguait de droite à gauche et je ne le quittais pas des yeux. Le ciel avait l'air joyeux et l'eau était si limpide que j'avais l'impression d'être en mesure d'y voir défiler toute ma vie. Et ma vie en France n'avait jamais été joyeuse.


Ma tête et mon esprit étaient désormais vide. Libérés des soucis du quotidien, débarrassés du jugement des autres, des incapables et de leur médiocrité. Quand on a raté sa vie, on en veut à la terre entière. Je ne pensais plus à rien. Seul importait l'instant présent : les petites vagues qui venaient mourir sur la plage, la petite brise qui tentait de refroidir l'air. Je passais une de mes plus belles journées.


J'avais oublié que tout ceci pouvait exister. Le bonheur avait atterri sur cette plage déserte et il me demandait de le considérer de nouveau. Il voulait que je regarde en toute objectivité ma vie d'aujourd'hui. Et je le faisais. En panne de souvenirs heureux, j'y voyais une évidence : il fallait que je parte. Loin. Très loin. Parce que j'étais à bout, aux bouts d'un cycle, à la fin d'une bataille que j'avais livré il y a un peu plus de dix ans à mon retour de Sydney et que je savais pourtant perdu d'avance.


J'avais quitté l'Australie, persuadé qu'on pouvait être bien partout et que l'important c'était le sens qu'on donnait à sa vie. Mais, de retour au bercail, j'avais retrouvé la France. Et tous ces travers. Mon pays n'avait pas changé. Il fallait m'y résoudre. Je n'étais pas heureux en France, je ne l'avais jamais été et je ne le serai jamais. Il n'y avait plus rien à ajouter : c'était une certitude absolue.


Je pensais à toutes ces choses quand une jeune fille, à peine dix ans, accompagnée de sa mère, est arrivée à ma hauteur. J'ai dit Yassass, le salut en grec et ils m'ont répondu Yassass avec le sourire en plus. La fille a sauté dans l'eau. Sa maman la regardait avec une bienveillance attachante. Elle a fini par s'asseoir sur un rocher. Et j'ai vu un sourire se dessiner sur son visage.


Je connaissais à peine ce pays mais je l'aimais déjà. C'est fou comme j'étais bien ici. J'avais ressenti la même chose à mon arrivée à Sydney en 1993. Là-bas, la vie était sans cesse sur son 31. Le soleil venait de disparaître derrière les rochers. L'air était toujours aussi lourd.Je restais torse nu, sans bouger. J'aurais voulu que le temps s'arrête pour profiter encore et toujours de ce bonheur si simple mais si intense. Je me sentais de nouveau revivre. 


La dame s'est levée. Elle a appelé sa fille. La petite voulait rester mais sa maman a commencé à marcher devant. J'ai détourné le regard. La nuit était sur le point d'arriver mais le spectacle était tout aussi grandiose. Je suis resté toute la nuit scotché devant tant de bonheur. 


J'aurais pu fermer les yeux et mourir sur cette plage abandonnée. J'ai sursauté en entendant des voix au loin. Elles ont fini par disparaître. Je venais de m'endormir et je ne savais pas si je venais de rêver. La nuit était profonde. La lune, tel un projecteur, éclairait toute la plage. De nouveau, assommé par cette journée ensoleillée, j'ai fini par m'endormir. 


A mon réveil, un bonhomme qui promenait son chien, fut surpris de me trouver là, allongé à même le sol. J'ai repensé à la journée d'hier. Et plus globalement à ma vie. A 9h, le soleil était déjà très haut dans le ciel. Je commençais à transpirer. Je suis parti rejoindre cette eau écarlate qui s' offrait à moi.


Alors que je nageais en toute quiétude, j'ai pensé que puisque la fin était la même pour tous, la vie ne valait donc pas la peine d'être vécue. J'étais troublé : le peu de sommeil n'arrangeait rien. Je m'éloignais du bord comme pour ne jamais revenir. Puis je me suis arrêté. J'ai regardé la plage : des gens venaient d'arriver. Mes amis étaient là. L'un d'eux m'a fait un signe.


Certes, la fin était la même pour tous, la vie ne valait donc pas la peine d'être vécue. Mais, en vérité, il fallait tout de même la vivre à fond …


 


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune