Tunisie. Yadh Ben Achour : « La place de la religion au cœur des débats sur la future constitution »

 Tunisie. Yadh Ben Achour : « La place de la religion au cœur des débats sur la future constitution »

Selon Yadh Ben Achour

Les débats concernant la rédaction de la constitution tunisienne, porteront surtout sur la place de la religion à l’avenir, a en substance estimé le Pr Yadh Ben Achour.

 

S’exprimant à Paris ce vendredi 10 février, dans le cadre d’un colloque*, Yadh Ben Achour a exprimé trois idées essentielles, qui ont suscité le plus grand intérêt d’une salle comble où même les strapontins étaient occupés.

1.       La Tunisie (et d’autres pays arabo-musulmans) porte le poids du passé (culture, islam) et celui de l’appel de la modernité.

En d’autres termes, quand Ennahdha dit à Davos que la Tunisie adhère sans réserve aux valeurs universelles et que le même parti dit à Tunis qu’il veut inscrire la charia comme l’une des principales sources du droit dans la future constitution, le double langage est seulement apparent. En réalité, cette ambiguïté, cette contradiction expriment le dualisme (les Marocains disent, depuis longtemps, schizophrénie) de nos sociétés et de leurs politiques : conscience et pensée ; culturalisme et universalisme…

Le dualisme s’exprime chez nous depuis près de deux siècles, depuis les premières tentatives de modernisation. Et il s’exprime dans tous les domaines, y compris la vie quotidienne, la façon de manger, de parler, de s’habiller…

Pour lui, Ennahdha n’a pas un double discours. Le parti, en fait, porte le poids de deux réalités, de deux influences, tout comme la société tunisienne : l’ancien et le moderne, la charia et le droit positif,…

La Tunisie vit cette binarité, cette polarisation depuis le milieu du 19ème siècle et cette binarité semble s’accentuer après la révolution.

2.       Ennahdha est en train de devenir un parti de gouvernement et donc :

a.     Un parti qui doit dissoudre les contrastes (sortir de la binarité ou l’estomper) ;

b.     Un parti qui n’échappera pas à l’effet de l’usure du pouvoir ;

c.      Logiquement, il y aura bien une alternance ;

d.     Ce parti devra régler le problème de son aile droite (le Tahrir, les salafistes, les jihadistes) et pour cela, sera amené à réprimer, au sein de sa propre famille politique.

3.       Les trois points qui feront l’objet des plus forts débats au sein de la constituante, au cours de la rédaction de la constituante :

a.      La nature de l’Etat : Ennahdha se dit favorable à la dawla madania (Etat civil) tout en proposant récemment d’inclure un article faisant de la chariâa l’une des principales sources de législation. Ce « double langage n’est pas un mensonge mais une contrainte ». Dire cette dualité dans la constitution, signifierait que le conflit entre droit ancien et droit nouveau deviendrait un principe.

b.      Le rapport entre l’action politique et la religion : ira-t-on jusqu’à interdire la confusion entre politique et religieux ou bien y aura-t-il silence sur la question ?

c.       La liberté de conscience. Il ne s’agit pas seulement de la liberté des minorités religieuses, mais cela va jusqu’au droit de renoncer à sa religion, de croire ou de ne pas croire. Si la liberté de conscience était reconnue par la loi fondamentale, le procès contre Nessma n’aurait plus de sens.

En conclusion, le projet de constitution va se jouer non pas sur les aspects politiques, mais sur le projet de société.

Naceureddine Elafrite

 

*Colloque organisé par le Collège des Bernardins, sur le thème : « Les printemps arabes et le religieux ». Parmi les intervenants, les chercheurs tunisiens (Yadh Ben Achour, Abdelmajid Charfi) et marocains (Mohamed Sghir Janjar, Abdou Filali Ansari) étaient nettement les plus pertinents.

 

Naceureddine Elafrite