Paris sportifs : Flambez jeunesse

 Paris sportifs : Flambez jeunesse

Accessibles en seulement quelques clics, les paris sportifs font un carton parmi la jeunesse défavorisée. LOIC VENANCE / AFP

Dans quelques semaines va débuter l’Euro féminin de football (du 6 au 31 juillet en Angleterre) et avec lui la folie des paris sportifs. Désormais à chaque évènement (les récentes finales NBA) les sites spécialisés se gavent grâce à une fièvre du jeu qui touche de plus en plus les jeunes. Reportage.

 

“Vite, vite, vite !” Dans ce bar PMU de Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’excitation monte dans la queue qui mène au comptoir. Les premiers évènements sportifs de la journée vont débuter et l’heure limite pour valider son ticket approche. “Cote à dix, obligé, je la passe”, lance Medhi.

Du haut de son mètre quatre-vingt, le jeune homme de 28 ans semble en avoir dix de plus. Barbe hirsute, cheveux gras et jogging de foot, il a le débit d’une mitraillette : “Je suis là tous les jours. Vent, pluie, soleil, froid, je m’en tape. Je vais finir par décrocher le jackpot.” Dans sa main, un ticket de parieur. “J’ai joué cinq matchs. En cumulé ça me fait une belle cote. Franchement ce ne sont que des coups sûrs”, dit-il.

“Il n’y a pas de coups sûrs”, le coupe un homme plus âgé accoudé au comptoir. Devant lui, un demi de bière. “La maison est toujours gagnante et nous on est de gros pigeons. On se demande si tout n’est pas truqué.” “Tu vas voir, je vais me faire un beau billet aujourd’hui”, rétorque Medhi. Puis il sort se fumer une cigarette.

A l’instar de Medhi, de nombreux jeunes se sont mis aux paris sportifs. “Ils sont dehors, ils fument, ils discutent et ils valident leurs tickets. Ils passent leurs journées ici”, constate le gérant du bar-tabac. Selon l’Autorité nationale des jeux (ANJ), 840 000 jeunes de 18 à 34 ans seraient des joueurs actifs, soit 30 % des 2,8 millions de parieurs français.

En ligne ou au PMU

A l’intérieur, les clients vont et viennent pour faire scanner leurs QR codes. Football, basket, tennis, courses hippiques, billard… Tous les sports sont sujets à paris. “C’est comme ça tous les jours, explique le patron du bar. Je crois que les paris n’ont jamais aussi bien marché. En ligne ou au tabac, il suffit de trois clics pour miser ce que vous voulez. Il ajoute : La plupart du temps, ce sont des sommes de 10 ou 20 euros mais certains jouent des montants astronomiques. La semaine dernière, un type a dépensé mille euros en moins de deux heures.”

Sur la terrasse, d’autres jeunes ont rejoint Medhi. Tous ont la trentaine et un point commun : ils ne travaillent pas. Yacine, 29 ans, aspire une bouffée de joint. Il se targue d’être un “vrai bon joueur” : “La dernière fois j’ai mis 20 euros et j’en ai gagné 800”. Les autres rigolent en l’entendant. “Yacine, tu la sors à chaque fois celle-là… Mais combien t’as perdu avant ?”, lui demande l’un des garçons.

Rêves de richesse

Soudain une clameur s’échappe du bar. Tout le monde fonce à l’intérieur. C’est l’arrivée de la course hippique. Ça crie, ça encourage. On se croirait presque à Longchamp. La cavalcade se termine. Dans la salle, quelques clients arborent un large sourire, mais la plupart baissent la tête. Dépités, ils jettent leurs tickets. Retour dehors avec la petite bande.

“Pourquoi bosser avec un patron qui va te donner des ordres pour un petit salaire, quand tu peux gagner la même chose en restant assis avec tes potes ?”, interroge Yacine. “De toutes façons, il n’y a pas de place pour les rebeus dans cette société pourrie”, grogne Medhi. Sans véritable projet de vie, les paris sportifs sont pour eux la promesse d’un futur doré.

“Un jour je vais taper le million et adios !”, ajoute Medhi. En attendant la vie de rêve, les compères enchaînent les joints en décryptant chaque match. Nul, score à la mi-temps, buteurs… La liste des possibilités semble infinie.

Yacine se met à pester alors que l’équipe anglaise sur laquelle il a parié est en difficulté face à un adversaire théoriquement moins fort. “Ils me foutent la rage. Mes quatre autres matchs étaient passés. Ça me flingue mon ticket !”, s’emporte le jeune homme.

Un homme d’une quarantaine d’années entre dans le bar. Medhi le salue. D’autres clients aussi. Crâne rasé, ventre rond, sweat jaune fluo sur le dos, l’homme semble être un habitué des lieux. Il valide quatre tickets et dit : “Je joue depuis des années. Avant, c’était le casino. J’ai été interdit bancaire tellement j’avais contracté de dettes. Je gagnais pas mal d’argent en liquide. Ma femme n’en savait rien. Mais à un moment ça a fini par remonter à la surface.”

Pris dans l’engrenage

Aujourd’hui, il se contente de paris de cinq ou dix euros et fait attention à ne jamais dépasser les 300 euros de gains. “Après vous touchez l’argent par virement.” Il sort un smartphone de sa poche de sweat et montre une application sur son écran : Pronosoft. “Il n’y a pas de compte ni identité. Vous choisissez vos cotes. Il suffit de valider et le QR code apparaît. Ensuite, il n’y a plus qu’à aller au guichet pour avoir son ticket.”

Malgré l’argent perdu au fil des années, il lui est impossible d’arrêter de jouer : “J’ai remporté de grosses sommes au départ et c’est devenu un engrenage. Quand je gagne je remise tout.” Il dit qu’il recherche “l’excitation”. “Même si je gagnais 500 000 euros, je suis sûr que je les remettrais en jeu pour doubler ma mise.” Puis de nouveau, il plonge son nez dans son téléphone. A la recherche de la prochaine cote miracle.

 

Jonathan Ardines