Point de vue. L’opinion publique mondiale est là

 Point de vue. L’opinion publique mondiale est là

Jason Connolly / AFP

L’opinion mondiale ne désarme pas contre les agressions israéliennes pour soutenir un peu partout les injustices subies par les Palestiniens de Gaza.

 

On peut dire qu’il y a aujourd’hui quatre grandes puissances dans le monde : les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’opinion publique mondiale. Celle-ci était à vrai dire acquise depuis les années 1990 et la mondialisation (manifestation des altermondialistes), comme elle l’était déjà lors de l’agression de l’Irak en 2003 par les Etats-Unis sans autorisation du Conseil de sécurité (manifestation dans les grandes villes du monde contre la guerre), mais elle est encore plus pesante aujourd’hui avec les réseaux sociaux, comme le montre la guerre entre les Israéliens et les Palestiniens de Gaza. Une opinion mondiale qui a réussi à faire perdre à Israël (et à ses sympathisants dans le monde) la bataille de l’image, à défaut de la guerre militaire, acquise à Israël et ses alliés traditionnels. La morale, la justice, la rue se sont placées du côté des victimes innocentes, et du peuple subjugué, soumis à une occupation exécrable depuis un peu moins d’un siècle, sans autre issue politique que la loi du plus fort.

A n’en pas douter, l’émergence, puis le renforcement de l’opinion mondiale à l’aide de la technologie de communication accroît le contrôle politique mondial sur les dirigeants, les puissances et les relations internationales. Il n’y a pas que la force militaire et économique des Etats qui prévaut dans la géopolitique, il y a encore la force morale des peuples, incarnée aujourd’hui par l’opinion mondiale, en dépit de ses limites matérielles face à la politique de la canonnière.

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L’opinion publique mondiale est agitée par les peuples, les minorités, les élites nationales ou cosmopolites, les Nobels, les célébrités du monde de l’art et du spectacle, les jeunes, les universités, les ONG, les forums internationaux, les gouvernants des Etats faibles ou défavorisés, notamment lorsqu’ils parviennent à dénoncer les Etats puissants face auxquels ils se trouvent désarmés. Ces divers acteurs recourent à de multiples moyens pour faire entendre la voix de l’opinion mondiale : pétitions, appels, marches collectives, manifestations, conférences, colloques, publications, communiqués, et souvent en bousculant les forces de l’ordre. S’il fallait des preuves supplémentaires de l’importance de l’opinion mondiale, on les trouverait dans l’extension de la publicité, de la propagande, dans la diffusion instantanée de l’information audiovisuelle et écrite grâce à la technologie de communication, internet et les réseaux sociaux.

Incarnant les valeurs, la vertu, la justice et la solidarité humaine, l’opinion mondiale montre que, démocratiques ou autoritaires, riches ou pauvres, les Etats ont des devoirs et des obligations à l’égard de la communauté internationale. La puissance même est sous surveillance, et les puissants, en dépit de leur débordement et excès, agissent de moins en moins à leur guise, même si la volonté de puissance est de rigueur.

Du coup, la pression de l’opinion mondiale, qui n’est en fait que l’ensemble des opinions nationales allant dans un même sens, peut freiner ou équilibrer les tendances cyniques des dirigeants politiques. Une manifestation de solidarité peut contribuer à modifier les conditions d’une visite d’un chef d’Etat étranger ou à briser l’isolement d’une nation ou à compenser le désespoir d’un peuple, ravalé au « concert » machiavélique des grandes puissances.

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Les dirigeants politiques n’ignorent pas, en effet que, face à une opinion mondiale énergique et exigeante, lorsque leur action est contraire au droit, à la morale internationale ou entachée de violence, il y a un seuil au-delà duquel ils risquent de ternir leur image politique, de s’isoler diplomatiquement, de léser leurs intérêts économiques et même, pour certains, d’être poursuivis par la cour pénale internationale. Certains dirigeants ont fait les frais du déni de la conscience collective internationale.

Dans le passé George W. Bush et Tony Blair, lors de la guerre du Golfe pour leurs prétentions osées et cyniques. Il est un fait que l’opinion mondiale s’adresse souvent contre les grandes puissances. Face aux Etats impuissants, elle est inutile.

Le président Macron aussi subit ces jours-ci ses foudres. Il est allé à Israël après le 7 octobre pour demander la constitution d’une coalition internationale contre le mouvement « terroriste » Hamas. Attaqué de toutes parts par la communauté internationale, la communauté arabe, y compris celle de France, ainsi que par les élites lucides de son pays, pour sa partialité israélienne remettant en cause la position diplomatique française traditionnelle favorable à une solution de partage équilibré entre deux Etats, il est aussitôt rentré à Paris et pour répondre à ses critiques, a organisé, pour se racheter, une conférence précipitée, sans conviction, une sorte de poudre aux yeux, sur l’aide financière aux victimes civiles de Gaza. Trop tard. Le mal est fait pour un président visiblement peu affuté politiquement face à l’adversité, en dépit de ses compétences. L’absence de passé militant n’y est pas étrangère.

De même Joe Biden, après la manifestation de son soutien indéfectible à Israël lors de sa visite à Netanyahou, il le supplie maintenant d’ordonner un cessez-le-feu, de défendre les civils et l’hôpital Al-Shifa de Gaza, sans doute après avoir observé la vigueur des soutiens massifs aux Palestiniens contre l’Etat colonisateur dans son propre pays.

De même, les grands médias occidentaux, croyant toujours fabriquer une opinion mondiale à leur guise, se sont rendus compte dans ce conflit que les excès et les propagandes unilatérales sont superflus et nuisibles à leurs propres auteurs et que les peuples ne sont pas dupes.

Tout se sait aujourd’hui instantanément, voire miraculeusement, dans les réseaux sociaux. Il arrive même que ces réseaux sociaux s’opposent les uns aux autres (les restrictions de Facebook de Zuckerberg contrées par la liberté totale instaurée par X d’Elon Musk) au profit de l’information globale, aussi plurielle que réelle.

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En tout cas, deux choses doivent être révisées sur l’opinion mondiale aujourd’hui par rapport aux années 1990 et à l’époque de la mondialisation. D’une part, on croyait autrefois que l’opinion mondiale est l’œuvre des grandes puissances démocratiques qui disposent des moyens technologiques, économiques, politiques et médiatiques nécessaires pour influencer l’opinion mondiale.

Ce n’est plus le cas dans le monde d’aujourd’hui. L’opinion d’un pays en voie de développement ou de plusieurs pays du Sud vaut incontestablement l’opinion occidentale dans l’influence de l’opinion mondiale. Les réseaux sociaux et internet se chargent de la diffusion des messages.

D’autre part, on pensait, et c’est même sa définition traditionnelle, que l’opinion mondiale apparaît lorsque plusieurs opinions nationales vont dans le même sens ou expriment une même position ou un même sentiment. Ce n’est plus le cas non plus. A l’aide encore une fois des réseaux sociaux, l’opinion, mondiale peut être déclenchée par un seul peuple, occidental ou du Sud, pour peu que dans ce pays les utilisateurs savent « jouer » de cet outil.

A l’évidence, c’est la force des brutes qui fait l’histoire, mais l’opinion mondiale n’est ni impuissante ni désarmée face à la brutalité et à l’injustice, des dictateurs comme des agresseurs. Si les opinions publiques internes ont contribué à moraliser les démocraties à l’intérieur même du système par des garde-fous, l’opinion mondiale peut aussi moraliser les relations internationales par les valeurs de solidarité qu’elle défend. Elle peut humaniser l’humanité, encline à s’entretuer au-delà du « choc » des civilisations et du « poids » des religions.

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Hatem M'rad