Algérie/Maroc. Escalade, acte I

 Algérie/Maroc. Escalade, acte I

Saïd Chengriha, le chef d’État-Major de l’Armée nationale populaire algérienne. BILLAL BENSALEM / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP

Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne réussiront-ils là où ont échoué les missions de bons offices des Saoudiens et des Émiratis ? A savoir, convaincre le régime algérien de revenir sur sa décision de rompre définitivement les relations avec le royaume ? Les diplomates qui vont se retrouver officieusement le 3 septembre, en Slovénie, auront besoin de tout leur entregent pour calmer une situation au Maghreb qui inquiète fortement l’Europe.

 

La rencontre qui se tiendra au Bardo Congress Center, près de Ljubljana, a pour objet notamment de remettre sur la table la proposition de médiation que l’UE a formulée dès l’annonce de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc.

De quoi est le nom ce recours systématique du pouvoir algérien à cette théorie de l’ennemi extérieur ? S’il ne faut pas sous-estimer la force de la propagande, force est de constater que le voisin marocain désigné à la vindicte populaire, a pourtant du mal à passer pour le « grand méchant loup » auprès des populations algériennes qui expriment au contraire, à force de paroles virales sur les réseaux sociaux, une solidarité à toute épreuve avec « leurs frères marocains » !

Pour l’instant, l’Algérien résiste à l’embrigadement, faisant sienne la formule du philosophe Emmanuel Kant : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà̀ la devise des Lumières. »

On peut gloser longtemps sur les dessous d’une campagne de dénigrement soutenue par une propagande massive, une profusion de fake news, de rumeurs malveillantes les plus absurdes, mais l’essentiel, c’est que le comportement irrationnel de l’équipe au pouvoir ne peut s’expliquer que par des motifs irrationnels.

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Il faut savoir que le complotisme qui est invoqué à tout bout de champ par les autorités algériennes représente non seulement l’ADN du pouvoir à Alger mais il est à la base du système de gouvernement imposé par les services secrets depuis l’indépendance. Abdelmajid Tebboune peut s’égosiller autant qu’il veut, le véritable pouvoir n’existe pas au palais d’El Mouradia, mais il est bien ailleurs.

Même si Saïd Chengriha, l’homme qui a succédé à Ahmed Gaid Salah devant son ascension à la tête de l’État-Major de l’armée à ses  commanditaires au sein des saints, le cœur des services secrets, le fameux ex-DRS, le cœur battant du régime algérien tente difficilement de reprendre du poil de la bête après la purge brutale menée durant l’ère de son prédécesseur.

Il est notable d’ailleurs que la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée (DCSA), le service de renseignement interne au sein de l’armée algérienne, boostée par Saïd Chengriha (qui caresse le rêve de regrouper tous les services au sein d’un ministère de la Sécurité d’État) tend de plus en plus à empiéter sur les prérogatives des autres directions.

Depuis, la (DDSE) et la Direction générale du Renseignement technique (DGRT), les deux principales directions des services secrets algériens, se sont transformées en électrons libres, au gré des défections des anciens clans hérités de l’époque Bouteflika (en témoigne le nombre incroyable d’ex-officiers des services secrets jetés en prison, poursuivis en justice, radiés ou poussés à la retraite) chassés par de nouveaux maîtres des lieux.

Quasi grabataire, le général-major Nour-Eddine Mekri dit « Mahfoud », à la tête de la DDSE a fait de cette direction un repaire d’officiers véreux, dont la plupart sont passés par la case prison pour divers motifs.

Aujourd’hui, comme son mentor le KGB hier, l’ex-DRS algérien est devenu une grosse machine bureaucratique, avec les lenteurs que cela suppose, et bien en retard sur ses concurrents étrangers. Il faut ici préciser que les membres des services ne sont pas vraiment des « agents secrets » ou des « espions », il s’agit de simples « officiers traitants » recrutés sur la base d’un népotisme qui fait la part belle aux relations familiales sans égard pour la compétence des uns et des autres.

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Aujourd’hui les services de renseignement de ce pays sont obsolètes, empêtré dans une perte de temps à chercher un ennemi extérieur qui ne viendra pas et un gaspillage inouï d’argent public dont le budget officieux des services ne représente qu’une goutte d’eau dans cet océan de dépenses.

Ainsi, les services en menant une vie propre déconnectée des réalités du pays engendrent finalement plus de problèmes qu’ils n’en résolvent… Cet amateurisme serait juste risible s’il n’était pas dangereux pour la stabilité du pays et celle du Maghreb tout entier.

En effet, bien qu’en panne de légitimité, les services algériens jouent souvent avec le feu, les islamistes radicaux créés au cours de la décennie noire sont toujours dans les cartons du DRS, et l’usage des djihadistes de Daech pour déstabiliser les nations voisines pourrait bien un jour se retourner contre le pays.

Dans toutes les nations qui se respectent, les services secrets permettent aux gouvernements de mieux se préparer à l’avenir, en Algérie, les renseignements, de guerre larvée aux guéguerres de clans, autant de rendez-vous manqués avec l’histoire s’appliquent minutieusement à empêcher le pays de sortir du passé.

En tout cas, l’affaiblissement des services secrets algériens en leur ôtant le rôle de faiseur de roi des années 80, menace l’Algérie d’entrer dans une ère d’instabilité́ inédite peu favorable aux défis économiques, sanitaires et politiques qui attendent la région.

 

Abdellatif El Azizi