Coupe du monde au Qatar : RSF dénonce des accréditations très restrictives

 Coupe du monde au Qatar : RSF dénonce des accréditations très restrictives

Les règles du Qatar seront très strictes pour les supporters, par exemple : “Ne vous approchez pas des hôtes féminins avec vos mains, évitez les étreintes. Vous pouvez saluer les femmes verbalement en gardant une certaine distance”

Classé 119ème sur un total de 180 pays dans son édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse, l’émirat est accusé par Reporters sans frontières (RSF) de décourager les journalistes de faire leur travail en dehors des stades.

Ainsi les nouvelles accréditations de presse accordées à l’occasion de la Coupe du monde de football au Qatar (du 20 novembre au 18 décembre 2022) imposent de nombreuses restrictions et créent des obstacles bureaucratiques et flous, malgré quelques efforts consentis sous la pression internationale. RSF déplore « une volonté manifeste » des autorités qataris :

« Les autorités qataries détournent le système d’accréditation des journalistes pour leur interdire de travailler sur certains sujets, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. En obligeant les médias, au moment où ils demandent leur accréditation, à accepter de respecter un certain nombre de conditions, dont certaines sont vagues, ambiguës et sujettes à une interprétation arbitraire, le Qatar cherche clairement à décourager, voire à empêcher la presse étrangère de parler d’autre chose que de football ».

En théorie, le Qatar a selon le discours officiel assoupli ses restrictions de travail pour les journalistes étrangers. De précédents permis de tournage contenaient en effet une clause interdisant de réaliser des reportages « inappropriés ou offensants pour la culture qatarie et pour les principes islamiques ». L’émirat a certes bien supprimé cette condition, note la même source.

De même, les nouvelles accréditations ne préciseront plus ni les régions, ni les rues, ni les quartiers où les journalistes peuvent filmer. Néanmoins, un nouvel avertissement émis sur le site officiel de demande d’accréditations des médias donne le ton : les journalistes ne pourront ni filmer, ni photographier dans « les propriétés résidentielles, les entreprises privées et les zones industrielles », cette dernière précision faisant référence à la zone controversée où des violations des droits de travailleurs migrants ont été rapportées.

 

Un formulaire affublé d’une liste exhaustive d’interdits

Le permis accordé interdit également de filmer dans les « zones restreintes où le tournage nécessite une autorisation préalable » et sur « tout site doté d’une signalisation ou d’un dispositif de sécurité indiquant qu’il est interdit de photographier ou de filmer ». Les médias doivent par ailleurs accepter au préalable un certain nombre de conditions au moment où ils font leurs demandes d’accréditation en ligne. Extrait :

« En soumettant ce formulaire, vous/votre organisation acceptez les conditions suivantes :

  • Ne filmer/photographier que dans les lieux autorisés
  • Ne pas filmer/photographier dans les lieux exclus énumérés ci-dessus
  • Respecter la vie privée des personnes et ne pas s’immiscer dans leur vie personnelle ni les filmer, elles ou leurs biens, sans leur autorisation expresse préalable
  • Se conformer aux lois qataries »

Contacté, le haut comité responsable de l’organisation de l’évènement assure que les autorités ne prévoient cela dit aucune restriction à la liberté de reportage ou d’expression des représentants des médias. « Comme dans le monde entier, il est permis de filmer sur une propriété privée, mais cela nécessite le consentement du propriétaire ou de l’entité responsable de la propriété » précise l’organisme.

Si elles paraissent banales en apparence, les restrictions, le flou et les imprécisions qui entourent la formulation des conditions de reportage permettent aux autorités de les interpréter à leur guise, voire de modifier leur application.

Dans les faits, en qualifiant certaines zones de « privées », ou de « propriétés résidentielles », « entreprises privées » et « zones industrielles » comme indiqué dans les permis, sans préciser qui en sont les propriétaires, cela permet notamment d’interdire aux équipes de télévision qui font le déplacement au Qatar au moment de la Coupe du monde d’interviewer des personnes à leur domicile.

Car pour obtenir des autorisations de tournage, « il faut souvent pouvoir s’orienter dans un labyrinthe bureaucratique complexe qui se termine souvent par des impasses » explique un journaliste étranger basé au Qatar qui requiert l’anonymat. C’est ainsi que les autorités qataries découragent les journalistes de s’aventurer dans les lieux qui pourraient être sources d’embarrassement pour l’État, en particulier les zones industrielles, où vivent les ouvriers du Qatar. « La dernière chose que le gouvernement qatari souhaite est de voir des milliers de journalistes se balader dans les quartiers d’habitation des travailleurs avec leurs caméras ! explique encore le journaliste. En même temps, ils savent qu’ils ne peuvent pas empêcher les journalistes de s’y rendre sans attirer davantage l’attention. C’est pour ça qu’ils essaient de donner l’impression que rien n’est interdit, tout en gardant ces restrictions. » 

Au Qatar, il est particulièrement long d’obtenir des permis pour filmer dans des propriétés privées, y compris dans les zones non sensibles, comme les musées, les salles de conférence et autres entités privées. Il s’avère même difficile d’identifier les autorités qualifiées pour les accorder. Permettre aux journalistes de filmer où ils veulent, tout en excluant les zones privées, dont la zone industrielle, s’avère par conséquent un procédé ingénieux pour limiter leur travail.

En 2021, c’est pour « intrusion dans une propriété privée » que le journaliste sportif de la radio publique NRK, Halvor Ekelandet le photographe Lokman Ghorbani, ont été détenus pendant plus de 30 heures et ont été contraints de supprimer les images de leur équipement, après avoir couvert la situation des migrants au Qatar.

 

>> Lire aussi : Qatar 2022 : Amnesty réclame à la FIFA « au moins 400 millions de dollars »

Seif Soudani