Edito – Maroc. Pitié pour « les fous » !

 Edito – Maroc. Pitié pour « les fous » !

Illustration – Vieillesse – Maroc. Morgane Wirtz / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

C’est l’histoire banale d’une vieille dame trouvée sur le bord d’une route grelottant de froid par un matin d’hiver. Aux premières infos, il s’agirait d’une femme âgée et dérangée mentalement, abandonnée à l’orée d’une forêt, aux environs de Mohammédia.

 

La première réaction est de rentrer dans une colère noire en pensant à ces parents ou enfants criminels qui se sont débarrassés de la pauvre dame sans égard pour son état de faiblesse physique et mentale ! Le moment de surprise passé, la réflexion s’est ensuite focalisée sur les possibilités pour cette femme et les personnes qui se sont portées volontaires pour la prendre en charge de lui trouver un environnement qui préserve sa dignité à défaut de lui apporter la guérison souhaitable. Eh bien sur ce plan-là, c’est peanuts, walou, nada !

Aucune possibilité de prise en charge car les rares institutions qui résistent encore sont totalement débordées. Et les 400 psychiatres qui sont au front sont totalement inaccessibles pour diverses raisons.

Même les pis-aller tels que les domiciles mis à disposition par les habitants de la commune de Bouya Omar pour accueillir « nos fous » ont été fermés à double tour et les pensionnaires jetés dans la nature, par les socialistes du PPS quand ils présidaient aux destinées du département de la santé. Résultat, il ne fait pas bon avoir l’esprit « dérangé » dans le royaume.

Pourtant d’après les derniers chiffres du ministère de la Santé, 40% des Marocains souffrent de troubles mentaux, tandis que 26% sont dépressifs, 3,5% de la population ont des problèmes de bipolarité et ils sont 1,5% à souffrir de schizophrénie. Bien sûr, on n’est ni les premiers ni les derniers à souffrir de problèmes psychiques très graves mais culturellement et médicalement parlant, l’expression des problèmes psychiques et leur traitement est différente en comparaison avec d’autres pays.

Si la maladie mentale est un fléau, un drame selon les mots même de l’organisation mondiale de la santé (OMS), ces maux pourrissent non seulement le quotidien des intéressés mais également la vie de nombreuses familles, car elles ne se situent pas uniquement à l’échelle des patients, mais également à celle des personnes qui les prennent en charge et qui, généralement, résident dans le même espace domestique.

La psychiatrie au Maroc qui souffre de l’insuffisance chronique en termes de personnel, de la médiocre qualité des soins, des inégalités territoriales de l’offre de soins reste victime de la gêne qu’inspirent les troubles mentaux, de la stigmatisation des malades et de leurs proches, de la croyance solidement ancrée dans les mentalités qu’ils ne peuvent être soignés si ce n’est par le recours aux services d’un charlatan.

La lutte contre la stigmatisation des malades et de leurs proches, ne peut être surmontée que par des dépenses publiques en santé mentale augmentées, un effort de pédagogie pour bouleverser l’image que la société se fait de « ses fous », une prévention qui doit être systématisée, notamment chez les jeunes et au final, la santé mentale doit vraiment devenir un impératif de santé publique.

Cependant, comme l’homme reste un animal social qui ne peut survivre seul, les travaux du psychiatre John Bowlby, père de la théorie de l’attachement, ou de Boris Cyrul- nik, qui a développé́ la notion de résilience, montrent à quel point la présence de l’autre est essentielle au bien-être mental de l’individu, il faut qu’on s’y mette, tous , chacun de son côté pour démontrer que  « l’homme n’est pas un loup pour l’homme » selon le Léviathan de Hobbes, mais plutôt un être qui pense aux autres et encore plus quand ils sont dans un extrême faiblesse du fait de leur fragilité mentale.  « Je pense à toi, je pense à moi », comme dirait ce bon vieux Coluche.

 

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Abdellatif El Azizi