Macron, un privilégié te remercie pour la retraite

 Macron, un privilégié te remercie pour la retraite

Il y a quelques jours, j’ai reçu le total des trimestres cotisés pour ma retraite. Il m’en manque 84. C’est beaucoup quand on a 50 ans. En théorie, je devrais donc encore bosser 21 ans, jusqu’a 71 balais, pour pouvoir obtenir une retraite pleine mais grâce à la nouvelle réforme Borne-Macron qui favorise les branleurs comme moi, je vais pouvoir m’arrêter un peu avant, à 67 piges, en ayant cotisé au final beaucoup moins que celles et ceux qui ont commencé à trimer plus tôt que moi. Merci Manu !

A 50 ans, je n’ai pas mal au dos ni aux jambes, j’ai une vue parfaite 10, 10, le pouls de mon cœur au repos est aussi lent (et chiant) que « The Tree of Life » de Terence Malick. Physiquement, selon ma toubib, je suis plus en forme que l’immense majorité des gamins de 20 ans. J’ai le temps de prendre soin de mon corps. Le sport me permet même de remplir mes journées. C’est dire…

Comme tous les privilégiés, je ne pense jamais à la retraite. Ça n’a jamais été un sujet pour moi. Je suis journaliste indépendant, cinéaste et écrivain. Hamdoulah, la vie est belle ! J’ai commencé à (vraiment) bosser tardivement, à 36 ans !

Certes, comme beaucoup de Français, plus jeune, j’ai fait des petits boulots, un peu de manutention l’été à Paris, du baby-sitting, du ménage de temps à autre, j’ai même été prof de sport, chauffeur de bus ou cuisinier en Australie. Mais sur des courtes durées et toujours à mi-temps, juste ce qu’il faut pour payer mon loyer et me dégager du temps libre pour mes loisirs et surtout pour ne pas m’esquinter la santé au travail.

Je me suis fait plaisir et j’ai beaucoup voyagé. La retraite, j’y pensais pas du tout. Je vivais les moments présents. Je ne me suis jamais projeté vers un lointain avenir. Je ne regrette pas ce choix parce que j’ai vécu de belles choses.

A 34 ans, en ayant quasiment pas cotisé pour ma retraite, j’ai repris des études de journalisme. Et j’ai pu intégrer deux ans plus tard après mon diplôme des grandes rédactions, (et commencé enfin à cotiser !) comme le Parisien, France 3 ou M6, mais toujours en CDD, jamais à un rythme effréné.

Aujourd’hui, aussi incroyable que cela puisse paraitre, mon droit à la paresse est récompensé avec la nouvelle loi. A l’inverse de mon ami Yannick, copain de galère de la cité Maurice Thorez à l’Île-Saint-Denis avec qui j’ai grandi, aujourd’hui Toulousain d’adoption et qui bosse à plein temps depuis ses 16 ans, -il a commencé en intérim à Manpower !- exerçant toute sa vie des emplois pénibles.

A 51 ans, avant la réforme, il ne lui restait que 36 trimestres à cotiser ! Aujourd’hui, Macron-Borne lui ont rajouté 8 trimestres supplémentaires. Je récapitule : 4 ans de moins pour un branleur comme moi, deux ans de plus pour Yannick le besogneux. Merci qui ?

Mon statut de privilégié ne m’empêche pas de participer aux manifestations contre la réforme des retraites. En vrai, il m’oblige plus que les autres. Cette réforme, j’en ai honte. Je manifeste aussi en pensant à mon papa, la fierté chevillée au corps comme le sont les prolos et qui a rejoint le Ciel des travailleurs à 91 ans. Mohand Dendoune était à fond pour la retraite à 60 ans parce que le travail lui a brisé son dos et ses genoux.

Mon père avait commencé à trimer en Algérie à l’âge de 10 ans où il était berger. A Paris, en arrivant en 1950 de sa Kabylie natale, Mohand se levait chaque matin à l’aube pour aller au turbin. D’abord à l’usine Citroën, puis dans un centre hospitalier.

Payé au SMIC toute sa vie parce que mon père n’a jamais demandé à être augmenté, Mohand Dendoune avait un job et c’était déjà beaucoup pour lui. A 60 ans, il a dit « J’arrête ». Pas un jour de plus. Il aurait pu continuer un peu pour gagner un peu plus mais il voulait profiter de sa maison en Algérie qu’il avait passé une bonne partie de sa vie à construire. Sa retraite, il l’a méritée et il a pu en profiter.

Il me manque souvent… Bon… tous les jours même !, mais quand je repense à ses yeux inondés de bonheur à chaque fois qu’il préparait sa valise pour aller revoir sa Terre natale, je suis heureux pour lui. C’est un juste retour des choses.

D’autres prolos comme lui, les besogneux, les essentiels, les lève-tôt, n’ont pas, ou n’auront pas cette chance. Celles et ceux qui occupent des métiers pénibles, c’est mécanique, tombent souvent malades à 60 ans, meurent de temps en temps à 65 et vivent rarement au-delà de 80…

Ils occupent les emplois les plus précaires, sont payés une misère, cotisent plus longtemps parce que quand t’es fils de pauvre, t’es souvent obligé de commencer à bosser tôt, à l’inverse des fils de cadres, qui intègrent le marché de l’emploi tard après de longues études financées par le capital financier de leurs parents. Malgré cela, malgré les services rendus à la France, les traine-savates profiteront moins de la retraite.

Aujourd’hui, les besogneux sont logiquement dans la rue et pourtant chaque jour de grève leur fait perdre de l’argent, eux qui en manquent cruellement. Double peine pour eux donc. Certains privilégiés, dont les ministres et leurs soutiens, aimeraient que les rues françaises passent à autre chose. Il faut être sacrément con ou carrément déconnecté de la réalité pour penser qu’une réforme aussi injuste allait passer crème chez celles et ceux qui s’esquintent la santé tous les jours au travail …

Nadir Dendoune