Point de vue. La diplomatie d’affaires à Oman : une riche tradition aux grandes ambitions

 Point de vue. La diplomatie d’affaires à Oman : une riche tradition aux grandes ambitions

Alexandre Pamart, Consultant en relations bancaires internationales et communication stratégique, diplômé de l’IRIS et de l’INSEEC, en préparation d’un executive PhD en Stratégie et Sécurité au CEDS.

Le Sultanat d’Oman est une terre de contrastes : pays discret mais à la diplomatie ambitieuse, paysage traditionnel de maisons blanches sur la côte, mais territoire attractif pour les investisseurs étrangers, monarchie stable et non-aligné sur le plan international, mais aussi médiateur actif pour des questions stratégiques. Oman était un grand empire maritime allant du Baloutchistan pakistanais, jusqu’au nord du Mozambique en Afrique de l’Est. La doctrine diplomatique riche de traditions est également orientée vers les défis du 21ème siècle.

Par Alexandre Pamart, Consultant en relations bancaires internationales et communication stratégique, auditeur du PhD en Relations Internationales au CEDS.

 

La diplomatie d’affaires comprend les actions, les mesures ou les orientations économiques, commerciales et financières mises en place par un gouvernement pour promouvoir des intérêts diplomatiques. Cette discipline a une longue histoire et a connu une concrétisation particulière au 18/19ème siècle en Europe. La reconnaissance explicite d’un tel concept fut relativement récente puisque diplomatie et affaires pouvaient être perçues comme conceptuellement ou éthiquement opposées (intérêt général de l’Etat vs intérêt privé d’une entreprise).

La politique omanaise au début du 19ème siècle, puis de nouveau à partir du règne du Sultan Qabous ibn Saïd (1970-2020), constitue un apport historique pour enrichir le concept de diplomatie d’affaires. En 1830 l’île de Zanzibar était un carrefour d’échanges commerciaux entre l’Afrique de l’Est, l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient. Oman et le Royaume-Uni, deux puissances maritimes, étaient en compétition dans cette région. Le commerçant, diplomate et agent d’influence américain Edmund Robert s’empressa de persuader le Sultan d’Oman des bienfaits d’une coopération. Il avait assuré que les États-Unis, issus d’une lutte contre l’ancienne puissance coloniale britannique, n’avaient pas d’ambitions territoriales et étaient animés par une volonté de liberté et d’échanges dans la région de Zanzibar.

Suite à ces rencontres, un traité historique d’amitié fut signé le 21 Septembre 1833 entre le Sultan Said Ben Sultan et le Président des États-Unis Andrew Jackson. Le développement des échanges avec les États-Unis contribua à l’expansion de l’influence d’Oman dont le Sultan prit le titre de Sultan d’Oman et de Zanzibar. Les échanges économiques aboutirent à l’établissement de relations diplomatiques entre les deux États en 1840 : Ahmad bin Na’aman Al Ka’abi fut le premier diplomate arabe aux États-Unis. Les américains furent émerveillés par la générosité des cadeaux du Sultan : chevaux, bijoux, tapis… face à la surprise, le Congrès a soulevé la question du conflit d’intérêts en diplomatie. Les présents furent finalement acceptés par le gouvernement au nom du président. Toutes ces réalisations de diplomatie d’affaires traduisent une fine compréhension interculturelle entre les diplomates associant persuasion, séduction et recherche de valeurs ou d’intérêts communs.

Les stratégies actuelles d’influence omanaises valorisent le passé maritime du pays en l’associant à la modernité afin de promouvoir le dialogue et la paix. Durant les années 1980, alors que le Moyen-Orient connut plusieurs crises, le navire Shebab Oman parcourut les océans en diffusant un message de paix. Depuis 2009, Oman organise l’événement nautique « Oman Sail », qui a vu en 2012 la première équipe féminine du Golfe y participer. Le Sultanat tente aussi de promouvoir dans le monde arabe une image d’excellence, un exemple est le héros national Mohsin Al Busaida. Il est le premier Arabe à avoir fait le tour du monde sans arrêt. Concernant l’Asie, Oman valorise la découverte d’épaves d’un bateau omanais du 9ème siècle rempli de marchandises venant de Chine et d’Asie de l’Est. Aussi, les traditionnels bateaux omanais, dhow, attirent de nombreux touristes souhaitant monter à bord.

La stratégie d’influence promouvant paix, dialogue et stabilité est relativement efficace dans un monde toujours plus multipolaire. Oman maintient un dialogue avec l’Iran, notamment en raison de la proximité immédiate des deux États. Le gouvernement appelle à la réconciliation au Yémen où il n’a pas participé aux opérations (mais craint un risque d’extension de l’instabilité à la région frontalière du Dhofar). Durant la crise diplomatique opposant le Qatar à l’Arabie saoudite, Oman a fait preuve de pragmatisme vu l’importance des deux pays voisins, en ouvrant les connexions maritimes et aériennes pour désenclaver le Qatar. Les relations d’affaires entre les deux pays ont par la suite fortement augmenté. D’autres sucess stories omanaises sont à citer, notamment le cycle de conférence Oman’s Message of Islam qui a connu un fort succès dans plusieurs pays, dont Malte. Cette initiative a été saluée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de Malte (actuel président, George Vella). Le Portugal est un pays d’intérêt pour Oman (qui y a longtemps investi dans l’électricité) ainsi que la Suède (dont un premier IKEA a ouvert avec succès dans la capitale Mascate en juin 2022).

Au cours de son règne de près de 50 ans, le Sultan Qabous a concilié diplomatie, réformes sociales et intérêts économiques afin de répondre aux exigences internationales. Le Printemps Arabe à Oman a été très discret puisque le Sultan a concrétisé des réformes pour répondre à des revendications. Des hommes d’affaires issus de familles d’entrepreneurs jouent aussi un rôle majeur dans la diplomatie d’affaires du pays, et ce, en raison de leur lien avec l’Asie. Ces entrepreneurs commencèrent à commercer avec l’Asie sur de simples dhows, et leur descendants sont aujourd’hui à la tête d’empires industriels (automobiles, immobiliers…). Le Sultan Qabous a désigné son cousin le Sultan Haïtham Ben Tariq, qui dirige le pays depuis 2020. La longue expérience du nouveau Sultan auprès de Qabous dans les affaires étrangères laisse entrevoir une continuité. Le programme Vision 2040 d’Oman est grosso modo une suite du Programme Vision 2020 de Qabous. Le nouveau Sultan devra accélérer la diversification économique et la transition énergétique du pays afin de pallier des chocs potentiels (baisse du tourisme durant la pandémie de Covid, fluctuation des prix du pétrole…). Le non-alignement du pays pourrait être mis à l’épreuve par des voisins comme l’Iran sur les sujets du Proche-Orient ou par les partenaires occidentaux concernant la situation en Ukraine.

 

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La rédaction