« Guerre anti-corruption » : Chahed brise le silence officiel

 « Guerre anti-corruption » : Chahed brise le silence officiel

Youssef Chahed dans ses bureaux de la Kasbah


Le chef du gouvernement Youssef Chahed est sorti de son silence hier dimanche en disant vouloir « mettre en pièces la corruption », promettant une « guerre de longue haleine qui n’épargnera personne », à la suite du coup de filet qui laisse jusqu’ici un arrière-goût d’inachevé.


Pour cette sortie médiatique, Chahed a choisi les deux plus grands quotidiens du secteur public arabe et francophone : Assabah et La Presse de Tunisie, avec respectivement pour intervieweurs Hafedhi Gheribi et Sofiène Ben Farhat. Deux journalistes connus pour leurs positions généralement pro nostalgie à l’ère pré révolution.


« J'entends certains dire que c'est une campagne… Non, en aucun cas, il s'agit plutôt d'une politique d'Etat. (…) La corruption chez nous est généralisée », a martelé le chef du gouvernement.


« Notre but est de mettre en pièces les systèmes de la corruption. (…) La lutte anti-corruption est une guerre continue, de longue haleine et procède d'une politique soutenue », poursuit-il, laissant entendre que d'autres interpellations suivront.


Depuis l'arrestation le 23 mai de l'homme d'affaires Chafik Jarraya, connu pour ses liens avec le monde politique et médiatique, il s'agit du premier exercice de démystification de l'exécutif à destination de l'opinion publique. Si beaucoup avaient exprimé leur vif enthousiasme au démarrage de l’opération, de multiples interrogations ont émergé au fil des jours en l'absence d'explications officielles.


Et pour cause, la qualification du chef d’accusation de la justice militaire à l’encontre de Jarraya : « Intelligence avec une armée étrangère en temps de paix », a jeté le trouble sur les motivations réelles de cette arrestation phare de celui que l’on sait proche des rebelles libyens.  


Assurant être « en commune harmonie avec le président » Béji Caïd Essebsi, le chef du gouvernement dément en filigrane un suspecté coup d’arrêt de l’opération sur ordre de Carthage…


Chahed a nié catégoriquement en outre les accusations selon lesquelles ce coup de filet aurait été déclenché pour faire diversion face à la montée en puissance de mouvements sociaux, notamment à Tataouine et dans le sud du pays.


 


Une politique qui se contredit ?


Pourtant, alors que certaines personnes interpellées sont accusées de « complot contre la sûreté de l'Etat » pour leur financement présumé de troubles sociaux, Chahed met bien en garde contre ce qu’il appelle « le triptyque terrorisme-corruption-contrebande ».


« C'est un système observable partout (…). Même les protestations sociales sont mises à profit par ce système. Les terroristes aussi en profitent », affirme-t-il. Le quadra rejette enfin les critiques sur le recours à l'état d'urgence, en vigueur depuis plus d'un an et demi, pour procéder aux arrestations.


« A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles », justifie-t-il. « D'autres actions sont prévues dans ce cadre (…) Les gens devront s'y habituer, comme dans le cadre de la lutte antiterroriste », prévient Chahed.


Au moment où les Unes sensationnalistes prédisent chaque jour une extension de cet effort de « guerre anti-corruption » à d’autres secteurs dont des ministres du gouvernement Chahed lui-même, les Tunisiens restent pour le moment sur leur faim.


La militarisation de la lutte anti-corruption est enfin selon d’autres observateurs de nature disproportionnée. Il peut paraître en effet incongru d'agir comme si la Tunisie était la Colombie en guerre contre les cartels et les kidnappings. A moins que cette militarisation ne soit censée servir d’instrument pour assoir un nouveau type d’autoritarisme inspiré de l'Egypte voisine. D’où la nécessité d’une société civile plus que jamais vigilante.


 


S.S

Seif Soudani