Tunisie. La justice interdit la diffusion d’un film sur le Prophète

 Tunisie. La justice interdit la diffusion d’un film sur le Prophète

Sorti en 2015, le film iranien continue de créer une vive polémique. Certains critiques considèrent qu’il porte atteinte au prophète Mahomet.

Réalisé par Majid Majidi, « Muhammad : The Messenger of God » se présente comme un long métrage historique. A sa sortie, il s’agissait de la production iranienne au budget le plus élevé. La plus grande partie du film avait été tournée dans un immense décor construit de toutes pièces près de la ville iranienne de Qom. Le Qatar avait alors annoncé qu’il préparait un film concurrent sur la vie du Prophète, avec un budget encore plus important, avoisinant un milliard de dollars.

Le récit de ce biopic se déroule au cours du VIe siècle et tourne autour du prophète de l’islam Mahomet, de sa naissance à l’âge de 13 ans. Le film est sélectionné comme entrée iranienne pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à la 88e cérémonie des Oscars, en 2016, mais n’est pas repris dans la liste restreinte, dite short list.

 

« Trouble à l’ordre public »

La mosquée Al-Azhar du Caire, haute autorité du monde sunnite, avait déjà demandé à l’Iran d’interdire le film, car selon elle, en le représentant, il porte atteinte au caractère sacré du Prophète, même si le film ne montre pas de visage mais une silhouette. « Je respecte le point de vue d’Al-Azhar, mais comment présenter au monde notre prophète ? J’ai essayé de présenter une image correcte et fidèle du prophète dans ce film. Pour nous les musulmans, notre prophète est une bénédiction pour le monde » se justifie le réalisateur.

Diffusant en Tunisie, Telvza TV a annoncé dès le 14 octobre courant sur ses réseaux sociaux qu’elle a été interdite, par le parquet près le Tribunal de première instance de Tunis, de diffuser le film « Mohammad », initialement programmé pour la soirée du 15 octobre, au motif que cela menacerait la paix civile.

Equivalent du CSA, la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) est l’une des rares institutions constitutionnelles qui a survécu au coup de force du président Kais Saïed. Elle affirme aujourd’hui que « tout empiètement sur ses prérogatives de régulation menace l’avenir de la liberté de la presse ».

Cette mise en garde de la HAICA intervient alors que le parquet près le Tribunal de première instance de Tunis vient de décider d’interdire la chaîne de télévision Telvza TV de diffuser le film iranien « Mohammad ». Dans un communiqué publié aujourd’hui mardi 18 octobre, l’instance de régulation de l’audiovisuel a rappelé que le respect de la liberté des médias est un droit qui incombe à toutes les parties concernées dont le pouvoir judiciaire.

Craignant une dangereuse jurisprudence, la HAICA a dans ce contexte réitéré son rejet de « toute violation de la liberté de la presse », appelant tous les magistrats et les composantes de la société civile à dénoncer « des pratiques qui menacent les acquis des Tunisiens ».

 

Représentation en islam et montée du chiisme en Tunisie

La représentation de Mahomet est intimement liée dans l’histoire à celle de la représentation figurée dans son ensemble. Malgré quelques positions favorables à l’image, un consensus semble se faire, à la fois chez les sunnites et les chiites, en faveur d’une non-représentation dans les lieux de prière de la figure humaine et animale, et de celle du Prophète.

Ce penchant pour la transcendance et cette réticence vis-à-vis de l’image résulte selon certains théologiens d’une extrapolation d’un verset du Coran décrivant comme une abomination les « pierres dressées » (ansab), susceptibles de représenter des idoles et de favoriser le polythéisme. Elle est par ailleurs justifiée par certains hadîths jugeant la représentation de la figure humaine « impure », car elle détourne l’attention lors des prières, et immodeste au sens où elle peut prétendre à être l’égale du Créateur, et favorise la pratique de l’idolâtrie. Des nuances d’interprétation existent toutefois entre les différents théologiens ainsi qu’en fonction des époques.

Fondée en 2014 par le promoteur et homme des médias Zouhaïr Latif, la chaîne suscite plus récemment une controverse au sujet de sa ligne éditoriale accusée par certains de promotion du chiisme. Fin juillet 2022, Telvza TV se vantait ainsi d’être la première caméra tunisienne à faire connaître la ville de Kerbala en Irak.

En août dernier, nos confrères de Jeune Afrique consacraient un gros plan sur la recrudescence du chiisme en Tunisie, avec un focus sur les liens présumés entretenus entre cette tendance et le nouveau pouvoir tunisien.

>> Lire aussi : Edito – Iran. Le chaos ou le Mollah ?

Seif Soudani