Ghalia Sebti exporte le zellige marocain partout dans le monde

 Ghalia Sebti exporte le zellige marocain partout dans le monde

Ghalia Sebti (crédit photo Aït Manos)

Elle a cofondé, il y a 25 ans, avec son mari Tawfik Bennani, les ateliers Aït Manos qui vend du zellige marocain partout sur le globe. En 2018, ils franchissent le pas d’une filiale en France pour gérer la partie numérique de leur entreprise qui culmine à 1 million d’euros de chiffre d’affaires.

A 13 ans, son rêve était de devenir championne de ski. Cette mordue de trekking, randonnée et surtout de ski alpin est la première marocaine à participer aux Jeux Olympiques d’Hiver d’Albertville en 1992. « Je me voyais dans des défis sportifs, explique Ghalia Sebti. Je fais encore aujourd’hui 14 heures de sport par semaine. On est dans le vital ! Le sport me met en mouvement et on vit finalement la même chose en entreprise. »

Cette volonté de ne jamais se reposer sur ses lauriers a permis à la société qu’elle codirige avec son mari de devenir leader sur le zellige marocain à l’export. Son nom : les Ateliers Aït Manos, « tribu des mains » en amazigh. Un clin d’œil à contre-courant pour l’époque, notamment pour des personnes qui ne sont pas d’origine berbère. « Mon père fassi doit être l’un des rares arabophones à se passionner pour la langue berbère qu’il parle couramment. J’ai en souvenir les balades avec mon mari dans la Peugeot 505 sans climatisation vers les kasbahs d’Ouarzazate (rires). Nous ne comprenions pas pourquoi le beau patrimoine d’art décoratif berbère n’était pas mis en valeur.  Ma passion, c’était la tapisserie. J’aimais tellement ça que j’ai dépensé la quasi totalité des dons de notre mariage en tapis ! »

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Un tandem parfait

Fille d’un commerçant d’import-export de matières premières et de textile et d’une mère, qui a démarré comme agent immobilier à 40 ans, la casablancaise tombe dans le goût du beau et de l’artisanat par la voie de la culture familiale. « Ma grand-mère lyonnaise, qui avait un regard étranger sur notre culture, était férue de ce patrimoine incroyable. Nous avons appris le sens de l’effort et la culture raffinée avec ma mère. Avec mon père, nous ne pouvions pas acheter un t-shirt sans regarder l’étiquette. La matière importe plus que la marque ou le look. »

Ce goût de l’authenticité, de l’innovation et de la tradition, Ghalia Sebti le partage avec son mari, Tawfik Bennani, enfant de diplomates marocains à l’étranger (Sénégal, Belgique, Grande-Bretagne, Etats-Unis). Ils se rencontrent en 1990 à Casablanca. Elle doit finir ses études de commerce international à Paris et envisage Londres pour la suite. Finalement, après les JO d’Albertville, le couple s’installe à Casablanca. Il leur faudra un an et demi pour démarrer. Ayant réuni un million de dirhams de capital, ils obtiennent le feu vert de la banque en mai 1994, alors qu’elle accouche de son premier enfant.

Au sein d’Aït Manos, les rôles sont d’ailleurs définis. A lui, la création et la production ; à elle de se charger de promouvoir et valoriser les produits auprès de grands architectes et fortunes privées. Un tandem parfait pour faire éclore l’entreprise qui importe la pâte de faïence de Grande-Bretagne et exporte vers l’étranger la production.

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Echecs et persévérance

La période de l’assainissement au Maroc est à deux doigts de provoquer leur faillite et les poussent à travailler encore plus la terre marocaine de Fès. « L’entreprise est comme un trek en montagne. Si on regarde le sommet, on n’y arrive pas. Il faut régler les choses par étapes. L’échec est formateur. C’est une tare du système français ou marocain de ne pas valoriser l’échec. Aux Etats-Unis où mon mari a vécu, on a moins de complexes avec ça ! »

C’est d’ailleurs du pays de l’Oncle Sam que va venir leur salut. 1er chantier pour une villa « mauresque » en Floride pour le propriétaire de Vogue Magazine, prix du Mérite à Coverings, au salon international du carrelage d’Orlando en 1998 mais aussi premières rencontres avec des architectes et designers renommés à Paris ou ailleurs.

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Deux unités de production

Piscine de l’Hôtel Royal Mansour à Marrakech, mosquée en Arabie Saoudite, villa luxueuse aux Etats-Unis ou en Australie ou hall de l’aéroport de Corisco en Guinée Equatoriale… L’entreprise compte, désormais, au bout de 25 ans, une soixantaine de salariés sur ses deux unités de productions (aux Habous à Casablanca et à Médiouna). Le tout pour un chiffre d’affaires de 13 millions de dirhams (1 million d’euros, ndlr). Les projets abondent d’autant que le couple ne cesse d’innover avec la création de nouvelles couleurs comme le vert céladon, gris ou or ou des nouvelles techniques.

On retrouve Aït Manos dans une quinzaine de pays, le Maroc ne représentant que 5% du chiffre d’affaires. « A l’étranger, on aime l’art de vivre marocain. Dans notre discours, on a toujours vanté la matière. Elle est unique, faite à la main et avec des tonalités différentes. Les clients sont attirés par le produit unique autant que par son histoire datant du 9ème siècle. Nous avons 3 catégories de clients (distributeurs de carrelage haut de gamme, architectes d’intérieur, particuliers). Dans les métiers d’art et le fait main, votre valeur c’est votre travail et votre technicité.»

En 2018, Ghalia Sebti et son mari cherchent à renforcer leur positionnement sur l’e-commerce. Elle crée Ait Manos France à Paris. « Notre filiale en France gère notre site en ligne, indique Ghalia Sebti. Le Maroc est en retard sur le digital, là où la France est très en avance. Pourtant, ce n’était pas simple de s’installer dans l’Hexagone. Nous l’avons fait par nécessité mais ça nous a ouvert des opportunités et possibilités que nous n’avions pas au Royaume. »

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Accompagner les femmes artisanes

Pour la société exportatrice, ce placement à l’étranger vise aussi à s’adapter aux nouveaux modes d’import et export. « Exporter depuis le Maroc est plus facile qu’il y a 25 ans. La modernisation de la douane, la dématérialisation et l’allègement des procédures ont beaucoup aidé. Dorénavant, ce sont les normes de plus en plus drastiques des pays importateurs qui coûtent chères en certifications et dans lequel nous sommes en avance.»

Ce coté pionnier, on le retrouve aussi dans l’implication de Ghalia Sebti au sein de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM). En 2006, elle fonde et préside pendant 3 ans la fédération des artisans. « Cela m’a beaucoup aidé et était très formateur avec de très bons retours d’expériences. On a beaucoup fait pour améliorer la filière. » Toujours impliquée, elle a mis en place la fondation Aït Manos, qui vient en aide à des femmes fabriquant des tapis berbères dans l’Atlas. Une volonté pour cette femme d’affaires, adepte de podcasts de rester à l’affut et toujours en mouvement.

 

 

 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.