Point de vue. Taylor Swift, les swifties et les élections américaines

 Point de vue. Taylor Swift, les swifties et les élections américaines

Crédit photo : Robyn BECK / AFP. L’auteur-compositeur-interprète américaine Taylor Swift, à la 66e cérémonie annuelle des Grammy Awards au Crypto.com Arena à Los Angeles, le 4 février 2024.

Un nouveau phénomène politique est apparu aux Etats-Unis, l’impact inimaginable d’une méga star, Taylor Swift, sur les prochaines élections présidentielles américaines.

 

Les élections présidentielles américaines sont aujourd’hui impactées par un phénomène sui generi : l’influence d’une méga star de 34 ans, Taylor Swift, triomphante un peu partout, aux Grammy Awards où elle vient d’obtenir le Grammy Award du meilleur album pour la quatrième fois de sa carrière, comme dans la vente de disques ou dans le succès de ses shows. Ni Frank Sinatra, ni Stevie Wonder, ni Paul Simon, ni Michael Jackson n’ont fait autant. Une ancienne chanteuse de country music convertie dans la pop music et qui compte 281 millions de fans sur Instagram n’affole pas seulement ses fans et admiratrices dans les réseaux et dans ses spectacles, mais aussi la classe politique et les candidats aux élections.

 

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Jusque- là, elle n’avait pas pris position aux élections américaines, et notamment dans la précédente. Il est vrai qu’elle ne pesait pas encore à ce moment-là sur le plan médiatique. Elle voulait rester neutre dans ces enjeux étrangers aux artistes. Mais cette fois-ci, la star a changé d’avis et compte soutenir les démocrates et Joe Biden, parce que la donne a changé. Elle a acquis en effet entre temps une forte influence, et parce que Biden est favorable aux libertés sexuelles et droits des minorités, menacées par le candidat Trump. A l’automne dernier, certains sondages plaçaient Taylor Swift en troisième position derrière Biden et Trump, si jamais elle se présentait aux élections. Joe Biden, en mal de popularité, ne compte pas rater cette opportunité. Il compte se produire dans un de ses prochains concerts pour officialiser en quelque sorte le soutien de Swift.

 

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Certains estiment qu’elle peut faire basculer la prochaine élection. Chose que redoute déjà le camp Trump, qui commence à faire de la désinformation contre les prétentions de la star. En septembre dernier, Taylor Swift a lancé un appel sur les réseaux sociaux demandant aux Américains de s’inscrire sur les listes électorales, à l’adresse notamment de ceux qui ne l’ont pas encore fait. Cela a provoqué un pic de fréquentation. Mieux encore, d’après un sondage du Newsweek, 18% des électeurs américains se disent « plus susceptibles » ou « nettement plus susceptibles » de voter pour un candidat auquel Taylor Swift aurait apporté son soutien. Les jeunes notamment seraient prêts à suivre aveuglément ses consignes de vote.

 

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On est dans un nouveau phénomène politique permettant un grand impact d’une superstar à la politique. Les stars intervenaient toujours dans le passé en soutenant tel ou tel candidat en Europe, comme aux Etats-Unis ou dans d’autres démocraties. Mais un tel impact à travers les réseaux sociaux, l’aura et la célébrité exceptionnelle d’une méga star, on n’en a jamais vu. Taylor Swift n’a artistiquement ni le génie ni l’aura d’Elvis Presley, des Beatles, de Michael Jackson, de Madonna, de Whitney Houston ou encore de Céline Dion, et pourtant c’est elle qui « menace » de déstabiliser les Républicains aux prochaines élections par ses followers et groupies.

 

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Que faut-il en tirer ? On le sait, les réseaux sociaux ont introduit depuis déjà plusieurs années de nouvelles pratiques dans l’action politique et aux élections. Ils n’ont toutefois ni réduit à néant ni remis en cause la légitimité et le fonctionnement « normal » de la démocratie représentative. Ils ont juste changé la nature des liens entre citoyens, électeurs et candidats à travers la réaction des utilisateurs du web et leurs interactions avec les hommes politiques. Obama et Trump avaient eux-mêmes des millions d’abonnés et ont su utiliser les réseaux sociaux pour entretenir et fidéliser leurs liens avec les électeurs. Ce sont eux directement qui donnaient des consignes aux followers et partisans, tout en continuant à chercher le soutien de quelques stars de divers horizons (cinéma, musique, sport, etc.). Dans notre cas d’espèce, fait nouveau, il faudrait compter avec une nouvelle intermédiaire influente, « influenceuse » à sa manière, de type artistique. En fait, Taylor Swift n’a pas acquis une influence astronomique seulement par le nombre d’abonnés sur Instagram. Elle n’a d’ailleurs pas atteint le niveau de Cristiano Ronaldo (621 millions), de Messi (499 millions), Selena Gomez (429), Ariana Grande (380) ou Beyoncé (319). Elle en est encore à 281 millions d’abonnés. Mais elle a autre chose de plus que toutes ces stars. Elle a un impact magique sur des foules enchantées, sur des jeunes et des moins jeunes, qui la suivent un peu partout, bien que les compositions de l’artiste ne soient pas délirantes.

 

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On a remarqué que même au Mexique, certains hommes politiques se targuent d’être des « Swifties » pour se donner un air plus juvénile. Arturo Zaldivar, ancien président de la Cour suprême du Mexique, publie régulièrement des contenus et vidéos de la superstar sur son compte TikTok. Les pro-Taylor Swift sont un peu partout, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Peuple croyant, puritains, les Américains croient toujours en Dieu. Ils découvrent aujourd’hui une nouvelle déesse ou prophétesse des temps modernes, régnant en politique par l’art, le charme et la magie, sans même qu’elle l’ait trop cherché. Une femme méga star, incarnant la réussite artistique, la richesse financière et l’impact médiatique et numérique peut-elle se priver d’avoir un impact en politique, elle, qui a toujours défendu le droit de la liberté des femmes ? C’est sans doute le côté superficiel des élections présidentielles américaines, où l’argent est le maître-roi, où le spectacle, la mise en scène et la forme comptent peut-être plus que la profondeur du discours, et où la politique n’est pas seulement l’œuvre des professionnels, mais relève aussi de la « showbizzerie ».

 

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Tocqueville disait au XIXe siècle que la politique française est littéraire, comme, peut-on ajouter, la politique allemande est cérébrale ou comme la politique anglaise est parlementaire, mais la politique américaine est plutôt cinématographique. Les électeurs ont besoin de croire en la qualité du show pour se convaincre de la nature d’une « bonne » politique ou de la justesse des idées politiques des candidats. C’est comme si le show les rapproche de la politique et leur fait oublier la concurrence et la lutte impitoyables d’une société fortement individualiste à la recherche de miracles. On est loin, très loin, de la morale puritaine, rigoriste, austère, sobre, peu dispendieuse dont nous parlait Max Weber dans L’éthique protestante du capitalisme.

 

 

Hatem M'rad